Ils sont enseignants et débordent d’idées et d’envie. Dans leur classe, ils tentent de nouvelles manières d’enseigner, en inventent ou réinventent. Parfois ça foire, parfois ça marche. Aucune solution ne résoudra d’un coup de baguette les maux de l’école, ils le savent. Mais ils essaient. Résolution de rentrée à Libération : mettre en avant une initiative concrète au sein de l’Education nationale. Septième épisode : Véronique Gomez, professeure agrégée de sciences de la vie et de la terre (SVT) à Strasbourg, qui fait travailler ses élèves sur les femmes scientifiques, trop souvent oubliées des manuels. Un projet qui a obtenu le label «Sexisme, pas notre genre» du ministère des Droits des femmes.

L’établissement. «Le lycée Marie-Curie est un lycée public de centre-ville de Strasbourg, assez petit, puisqu’il compte 750 élèves, uniquement de filière générale (S, ES, L). C’est ma cinquième rentrée. Avant, j’ai enseigné dans un collège à Benfeld et dans deux autres lycées de Strasbourg. Je suis professeure agrégée de SVT depuis l’année 2000. J’ai aussi un DEA de paléontologie. Une des spécificités de ce lycée est la section Marie-Curie, réservée à des élèves ayant une appétence pour les sciences. Pour la première fois cette année, j’enseigne aux élèves de première de cette section.»

L’idée. «Ça faisait environ deux ans que ça me trottait dans la tête. L’injustice par rapport à certaines femmes scientifiques, absentes dans les programmes, avant [la réforme de] 2012 surtout, m’a toujours interpellée. En cours, je parlais de Marie Curie évidemment, de Rosalind Franklin en seconde sur l’ADN, ou de la sismologue Inge Lehmann [qui a donné le nom de discontinuité de Lehmann], mais à part ça… Puis, à la Toussaint 2013, j’ai visité le musée des lettres et manuscrits, qui depuis a fermé, avec mon mari, à Paris. Je suis restée stupéfaite devant une lettre de Pierre Curie, qui demandait à Henri Poincaré de reconnaître Marie Curie comme une scientifique à part entière et pas seulement comme son assistante [la lettre, datée de 1903, est accessible en ligne ici]. J’ai commencé à réfléchir au projet cet été, quand j’ai appris que j’allais avoir les premières de la section Marie-Curie à la rentrée. C’est un niveau où on a plus de temps pour lancer ce type de projet. En seconde, avec la réforme, on a environ 1 h 20 par semaine, et en terminale, il y a l’objectif du bac, donc c’est plus compliqué.

J’en ai parlé à une de mes collègues, très sensibilisée à la lutte contre le sexisme. On a d’abord demandé aux élèves de citer des femmes scientifiques. Tous n’ont pas pensé à Marie Curie, alors que c’est le nom du lycée ! Ils ont ensuite dû travailler par groupe de deux ou trois sur une femme qu’ils ont choisi eux-mêmes et qui a apporté quelque chose à la science. On a exclu Marie Curie, trop connue. Ils ont cherché sur Internet, et sur deux livres que j’ai fournis. Certains ont travaillé sur Angélique du Coudray, qui a inventé le premier mannequin obstétrique et dont on ne parle jamais, sur [l’astronome] Vera Rubin, [la physicienne] Émilie du Châtelet, l’astronaute Claudie Haigneré… A la fin du mois, ils vont devoir présenter la scientifique choisie devant la classe, avec un diaporama. On va ensuite travailler sur la conception de panneaux, avec un lycée d’art appliqué. Ils seront finalisés en mai, et affichés dans le lycée lors du «Mois de l’autre» [une opération qui sensibilise les lycéens aux différences]. On a aussi voulu leur faire rencontrer et interviewer des femmes scientifiques actuelles. Ils ont déjà vu une astrophysicienne, une sismologue et une géochimiste et une hydrogéologue vont venir le 28 novembre, par le biais de l’association «Femmes et sciences», qui lutte contre le sexisme. Les élèves les interrogent sur leur parcours, leur demande si elles ont fait face à des obstacles parce qu’elles étaient une femme… Ça permet aussi de les faire réfléchir à leur projet d’orientation et montrer que les filles peuvent choisir des carrières scientifiques.»

Le résultat. «Les élèves étaient étonnés quand j’ai introduit le projet, mais ils se sont montrés volontaires et très disponibles. L’idée a aussi plu au reste de l’équipe pédagogique. D’autres collègues, de français, d’espagnol, ont joué le jeu. Le projet a fait des petits. C’est aussi l’avantage d’être un petit lycée… Deux correspondants italiens ont par exemple travaillé sur la neurologue italienne Rita Levi-Montalcini. Mon collègue de mathématiques – il y a aussi des profs hommes qui participent ! – fait travailler ses élèves sur des exercices de Sophie Germain. C’est devenu un projet au niveau de l’établissement, pas seulement de SVT. Ma collègue qui est sensible à ces thèmes a eu l’idée de faire la demande de labellisation auprès du ministère des Droits des femmes [dans le cadre de la campagne «Sexisme, pas notre genre»]. Pour l’instant, le projet est présenté sur leur site et le ministère nous met en lien avec des associations qui peuvent nous mettre en contact avec des femmes scientifiques pour organiser des rencontres. C’est vrai que c’est un peu biaisé, car les élèves de la section Marie-Curie ont déjà choisi une filière scientifique, ont un attrait pour les sciences, mais on se rend compte que même là, les filles ne choisissent pas forcément de faire de la biologie, de la géologie, des maths ou de la physique après le bac… On pourrait aussi imaginer d’autres déclinaisons du projet, comme rebaptiser les salles de sciences du lycée, au nom d’une femme scientifique. Tout est possible!