Les entreprises scandinaves sont souvent louées pour leur leadership en matière de Responsabilité Sociale des Entreprises. Ces pays ont également les plus hauts niveaux de développement humain et un revenu moyen par habitant très élevé. Y’a-t-il un secret qui leur permette de développer un modèle social et économique aussi performant ? Explorons les pays nordiques et ce qui fait d’eux les champions de la RSE et des success stories économiques et sociales.

De la démocratie industrielle à la RSE en Scandinavie

On pourrait penser qu’il est simpliste d’analyser la RSE et la performance durable de ces 4 pays ensemble, comme une entité régionale. Néanmoins à y regarder de plus près, on constate que les pays scandinaves partagent des tendances et un sens commun de la durabilité qui les ont amenés à développer des business models similaires. Les entreprises au Danemark, en Suède, en Norvège et en Finlande ont depuis longtemps été à l’avant garde de la RSE. Nombreuses sont les entreprises scandinaves à se placer aux premières places des classements Dow Jones Sustainability Index et du Global 100 Index. Le classement Global Sustainable Competitiveness Index montre que les 4 nations scandinaves se placent dans le top 10 des pays dont les business sont à la fois compétitifs et durables, avec 3 pays (la Suède, la Norvège et la Finlande) dans le top 5.

Lorsqu’on compare la Scandinavie au reste du monde vis-à-vis de la RSE, son avance est plutôt claire. Alors que la majorité de la planète commence à peine à s’intéresser aux « Stakeholder theories » et à la RSE, les pays nordiques ont déjà développé il y a longtemps leur propre modèle de responsabilité, qui est même enseigné dans toutes les écoles de business et de management de la région. Dès 1968, Eric Rhenman, dans son livre « Industrial democracy and Industrial Management », expliquait que le management et la gestion des entreprises devaient se faire en collaboration avec l’ensemble des parties prenantes : consommateurs, fournisseurs, actionnaires, employés, syndicats, gouvernements et organisations publiques… avec la société en général. À l’époque où les travaux de Bowen sur la responsabilité sociale des entreprises n’en étaient qu’à leurs balbutiements aux Etats-Unis, les scandinaves avaient donc déjà pensé une responsabilité globale de l’entreprise, impliquant l’ensemble des acteurs de la chaîne économique. Alors que l’ensemble de la planète prenait le train des théories néo-libérales de Milton Friedman ou Michael Porter (et leur fameux « avantage compétitif »), la Scandinavie inventait la « démocratie industrielle ».

Le modèle RSE scandinave : Coopération vs Compétition

 

Cette distinction est fondamentale au regard du succès des pays nordiques aujourd’hui. Beaucoup d’entreprises européennes et nord-américaines se sont construites dans un contexte de compétition, de pression sur les coûts et sur les salaires. Cette guerre économique permanente a fini par être néfaste à la fois pour le business et pour la société : les entreprises se battent pour proposer les prix les moins élevés, au détriment de la qualité de leurs produits et donc au détriment de l’image des entrepreneurs. Dans le même temps les salaires baissent et avec eux les conditions de vie des consommateurs. Pendant ce temps, en Scandinavie, le modèle de Rhenman faisait la promotion au contraire de l’ »avantage coopératif », c’est-à-dire d’un modèle basé sur le leadership participatif, le dialogue parties-prenantes, des organisations hiérarchiques plus horizontales, un très fort degré d’engagement des salariés, l’égalitarisme et une culture du consensus. La coopération et les décisions en commun sont devenues de véritables normes de business dans les pays du Nord, où les décisions au sein d’une entreprise sont parfois prises en concertation avec les syndicats, le gouvernement, mais aussi les ONG et les salariés. Résultat, un écosystème d’entreprises plus durables s’est développé naturellement, grâce à la prise en compte des parties prenantes.

Ainsi, les entreprises scandinaves les plus connues dans le monde sont aussi souvent parmi les plus durables et les plus responsables. Par exemple, la compagnie suédoise H&M a lancé de grands partenariats avec des ONG internationales comme l’UNICEF et l’association Save the Children, sur le sujet du travail des enfants qui est une problématique particulièrement importante dans l’industrie textile. Ainsi, le groupe a cherché à éliminer activement de toute sa supply chain le travail des enfants, et s’est montré depuis très strict et consistant vis-à-vis de ces mesures. La compagnie Norsk Hydro, entreprise norvégienne de l’aluminium et des énergies renouvelables a lancé des partenariats étroits avec Amnesty International pour répondre aux enjeux des droits de l’homme. Amnesty International est ainsi mandaté pour former les personnels de Norsk Hydro aux problématiques des droits de l’homme. Enfin, IKEA , fait la promotion de produits « démocratiquement conçus » c’est-à-dire produits grâce aux feedbacks des consommateurs, et conçus pour être à la fois accessibles, durables et écologiques.

Confiance et mise en commun des ressources : comment avoir un business durable et productif ?

 

Ce modèle de construction de l’entreprise basée sur le dialogue est loin d’être une utopie. Néanmoins une chose diffère dans les sociétés scandinaves, c’est la confiance que les individus accordent au système. D’après Anu Partanen, auteure de « La théorie Nordique du monde : à la recherche d’une vie meilleure », les scandinaves ne sont pas nécessairement plus consensuels ou plus fraternels que les autres. En revanche, ils partagent une certaine confiance dans les institutions et la croyance que la mise en commun des ressources permet d’arriver à des résultats bénéfiques pour tous.

Ainsi, alors qu’en France citoyens, politiques, médias, entreprises et syndicats s’observent chacun avec une méfiance réciproque et bloquent les négociations multipartites dans l’espoir d’obtenir chacun un avantage individuel, les scandinaves se mettent à la table des négociations dans l’espoir que les décisions peuvent faire avancer la collectivité. D’après Anu Partanen, une grande partie du monde a oublié, philosophiquement, conceptuellement et en pratique que la paix était plus productive que la guerre, que la coopération est naturelle. On retrouve cette rhétorique partout : les 1% qui détruisent la classe moyenne, les capitalistes qui exploitent les travailleurs, les gouvernements qui volent les droits et l’argent des citoyens… Or par exemple, les taxes ne sont pas plus élevées en France que dans les pays du Nord, au contraire, et la performance des entreprises et le bien être y sont souvent meilleurs.

 

La Scandinavie a-t-elle découvert le secret d’un business model durable et performant ? Elle nous montre en tout cas que le succès ne se résume pas à combien de profit est généré et comment le maximiser, mais comment créer les conditions d’une confiance mutuelle et d’un partage des profits entre les différents acteurs économiques et sociaux. Et n’est-ce pas cela, au fond, la RSE ?

NORBERT MONTI

Source: http://e-rse.net/rse-scandinavie-danemark-finlande-norvege-suede-business-model-durable-19565/