Qui sommes-nous

Depuis 2015, Rue89Lyon aide les élèves du lycée professionnel (LP) Cuzin de Caluire-et-Cuire à réaliser un journal en ligne. Pour cette rentrée 2017, nous rempilons.

Au lycée Cuzin, on se destine à la charpente, à la peinture ou à la maçonnerie. Le premier terrain d’investigation (et donc de sujets) reste, pour le moment, la vie du lycée, les sorties culturelles et l’immersion en entreprise.

A la fin de l’année précédente, les neuf lycéennes ont publié un post sur leur vécu de « filles dans un lycée de mecs ». Elles l’ont rédigé avec l’aide d’une prof de français-histoire et de la documentaliste. Nous en publions de larges extraits.

Au LP André Cuzin, il y a treize filles (dont neuf lycéennes) sur 400 élèves. Pour arriver dans un tel lycée, il y a un mélange de « hasard et d’envie ».
Constance évoque un choix par défaut :

« j’étais en troisième et j’avais des vœux qui n’ont pas été acceptés, j’ai choisi au hasard. La proviseure adjointe du collège m’a dit dans quelles filières il restait de la place et voilà. »

Mais Mariana avait envie de devenir peintre en bâtiment, alors, elle s’est inscrite à Cuzin, c’est la même chose pour Océane G.

Lors de leur rentrée, certaines ont eu peur de la présence massive des garçons :
Constance raconte que son frère l’a accompagnée et qu’elle lui a dit :

« j’ai peur, y’a que des grands ! »

Du coup, elle a vite fait connaissance avec les filles pour se faire des copines.
Marjorie était « choquée » :

« je croyais que ça n’existait plus, les lycées de garçons ».

Une déléguée des parents d’élèves, admet qu’elle n’était pas tout à fait rassurée par la « spécialité » du lycée. Elle pensait que sa fille ne pouvait pas trouver un métier dans « un environnement si masculin ».

Portraits d'élèves du LP Cuzin par Lydia

Portraits d’élèves du LP Cuzin par Lydia, élève au LP Cuzin de Caluire-et-Cuire

Comment (sur)vivre dans un univers si masculin ?

Marjorie attaque :

« Je me suis fait des copains garçons, on va même manger des tacos ensemble ».

Toutes les lycéennes abondent dans ce sens : sans parler de gentlemen, il y a des garçons biens, polis, attentifs, gentils. Elles peuvent rire avec eux et on est contentes de les voir le matin, comme les copines.
Les enseignants sont aussi particulièrement attentifs aux filles. Ils leur font plus facilement confiance et ils surveillent les garçons pour qu’ils ne soient pas lourds.

Morgane explique que certains profs font attention à valoriser leur « féminité », en faisant, par exemple, « un compliment sur une jolie robe ».

« C’est important, car au bout d’un moment, on risque d’adopter des attitudes de garçons : on parle comme eux, on marche comme eux, faut se raisonner ».

Elle s’est faite la réflexion en regardant Myriam et d’autres sur le banc de l’abri bus :

« Son attitude n’était pas tout à fait élégante : en tenue de sport, affaissées ».

Ce traitement différenciée peut aussi s’expliquer par un sur-investissement des filles dans la vie du lycée. Elles sont déléguées de classe. Elles siègent au Conseil d’administration et au CVL (Conseil de la vie lycéenne).
Mariana tient toutefois à nuancer le propos général. Elle n’a jamais relevé une différence de traitement filles/garçons, c’est mieux selon elle, « plus égal ».

Les filles du LP Cuzin récompensées par Jacques Toubon, en juin 2017. ©J. Chérifi – CLEMI

Les filles du LP Cuzin récompensées par Jacques Toubon (Défenseur des Droits – à gauche sur la photo), en juin 2017. ©J. Chérifi – CLEMI

Il y a des lourds : ils confondent maçon et garçon

« Les femmes doivent rester à la maison »
L’idée de faire un article sur la place des filles dans le lycée est venue d’Océane. Elle raconte avoir entendu « des trucs horribles » de la part d’un de ses camarades de classe à la fin d’un cours d’histoire sur le travail des femmes. « Je me suis pris la tête avec un élève qui disait que les femmes doivent rester à la maison ». Elle en a ensuite parlé à Judith Rosenfeld qui co-anime la Gazette de Cuzin. C’est elle qui a réuni toutes les filles du lycée pour un groupe d’écriture sur cette thématique.

Globalement les garçons sont bien, surtout au sein de la classe, on l’a dit. Ceux-là ne se posent pas la question de savoir s’il y a des « métiers d’hommes ». Morgane se souvient de s’être disputée avec Eddie. Il lui avait fait une réflexion désobligeante et ils ont bien failli se battre. Faut savoir s’imposer.

« Les hormones atteignent le cerveau. Il n’y en a pas beaucoup mais ils sont pénibles. Surtout les secondes. C’est parce qu’ils n’ont pas fini de grandir et parce que chez eux, ils ne font pas les courses. Ils n’ont jamais vu un aspirateur et ça ne les aide pas ».

Mariana se souvient que certains la charriaient parce que les métiers du bâtiment ne seraient pas des métiers de filles. Sans argumenter, ils disaient « ce n’est pas pour les filles, ce n’est pas un métier normal ».

Ce sont les lourds : ils confondent maçon et garçon, ils ont peur des filles dans les branches du bâtiment.
Pour Svetlana et Océane, il n’y a jamais eu de réflexion parce qu’elles se forment pour être « économistes de la construction ». Mais c’est aussi un métier où on est plus dans les bureaux…
Océane racontent que certains « taquinent ». Et ce n’est pas drôle.

« Ils savent tous nos prénoms. Forcément, nous on ne les connaît pas mais on est peu nombreuses, eux, ils nous connaissent. Ils nous regardent, cela peut être pesant. Certains peuvent adresser des réflexions blessantes, jamais devant nous, dans le dos et de préférence après la grille du lycée. Bravo, très courageux. »

Ils passent un sale quart d’heure quand les profs leur mettent la main dessus. Direction le bureau du CPE ou du proviseur.

Morgane parlent de « bébés maladroits » :

« Ils voudraient draguer et font les machos. Aborder une fille en disant « oh, comme t’es coiffée, on dirait un cheval …. « La classe » ? ».

Elle conclut :

« On avait du caractère avant, maintenant on a la fermeté. »

« Vous êtes une fille et vous appelez pour un stage ? » (rire)

En stage, ni Océane, ni Constance, ni les autres ne se sont senties sous pression. Mais il y a des entreprises qui ne veulent pas prendre de filles et qui disent que c’est parce qu’il n’y a pas de vestiaires séparés, ce n’est pas normal. Elles en parlent dans leur pièce de théâtre d’ailleurs, là.

Océane se souvient qu’elle a une fois visité un chantier et qu’elle s’est fait siffler. Ensuite, elle est revenue sur les lieux avec son maître de stage et, « comme par hasard », elle n’a rien entendu. C’est bien que certains savent qu’ils sont incorrects. Donc, il ne faut pas se laisser faire ! Constance voudrait bien que les filles se mettent en haut des échafaudages et sifflent les siffleurs pour voir s’ils trouvent cela correct.

Un jour, Mariana a téléphoné à une entreprise pour un stage. Elle est tombée sur une dame, la femme du patron certainement, qui s’est mise à rire quand elle a su que c’était pour un stage. Elle lui a dit : « C’est vraiment pour un stage ? Dans ce métier là ? Désolée, on ne prend pas de stagiaire. » Elle a trouvé un stage, dans ce « métier-là », ailleurs. En peinture, des filles, il y en a plein, alors ce n’est pas cette dame qui allait la décourager.

Pour se sentir plus à l’aise, les filles rêvent d’un lycée mixte. Cela pourrait passer par des campagnes d’information sur les débouchés des métiers du bâtiment. Il faudrait également faire une action en direction des secondes, tout au début de l’année, pour bien poser les règles du respect des autres et du matériel aussi.