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Après une émission de télévision, une petite fille de 10 ans, boulimique, a été victime de graves moqueries sur Internet, à cause de son poids.

C’était en 2013. Une émission à la télévision. Le sujet du jour ? « Mon enfant a une addiction ». Inépuisable filon pour un petit écran avide de souffrances familiales. Au programme ce soir-là, un ado « accro » aux jeux vidéo, une acheteuse compulsive, une fillette obsédée par Claude François… Et Mélissandre qui, comme l’expliquait la voix off pour la présenter, à « seulement 10 ans pèse 83 kg pour 1,48 m et vient d’être diagnostiquée boulimique ».

Une petite fille mal dans sa peau.

Le reportage enchaînait ensuite des scènes de la vie quotidienne de la fillette à l’évidence rejouées pour la caméra. Mélissandre qui se lève du canapé pour manger des bonbons, des gâteaux et du thon en conserve. Ou qui va faire du poney et explique qu’elle s’y était toujours refusée jusque-là à cause de son poids. Une petite fille mal dans sa peau et son corps. Et qui, comme ses proches, a sans doute cru qu’elle trouverait du réconfort en se racontant à une télévision en fait indélicate et voyeuriste.

La suite s’est jouée sur les réseaux sociaux. Après l’émission, Mélissandre a été au centre de multiples parodies ou moqueries, d’une incroyable cruauté. Évidemment centrées sur son poids et sa difficulté à réguler son appétit. « Sur le coup, cela a été très dur pour elle, explique la tante de Mélissandre, qui a créé une page Facebook pour la soutenir. Aujourd’hui, ma nièce va mieux. Mais ce qui est terrible, c’est que, même plus de trois ans après, il y a toujours des messages sur Internet. »

« Le statut de gros prend le pas sur toutes les autres qualités »

Ce que révèle cette histoire, c’est aussi le fardeau de la stigmatisation qui touche les personnes ayant d’importants problèmes de poids. « Un racisme anti-gros », disent certaines associations. Un phénomène que connaît bien Jean-Pierre Poulain, sociologue à l’université de Toulouse. « Les personnes obèses sont plus souvent caractérisées par leur poids que par d’autres attributs sociaux. Le statut de “gros” ou de “grosse” prend le pas sur toutes les autres qualités du sujet », expliquait-il lors d’un colloque en 2009 à Sciences-Po Lille.

Pour Jean-Pierre Poulain, la stigmatisation repose sur un « système de représentations et de croyances » qui font de l’obésité un reflet des qualités morales de l’individu. « S’il mange trop, c’est qu’il ne se contrôle pas. S’il ne se contrôle pas, peut-on lui faire confiance ? » On voit ici comment le raisonnement glisse d’une caractéristique physique au jugement moral de l’individu. « L’obèse est un être sans volonté », « un glouton asocial », avait constaté le sociologue lors du colloque.

L’obésité affecte les trajectoires sociales

Et cette stigmatisation affecte les trajectoires sociales. « Les personnes obèses ont un taux d’accès à l’enseignement supérieur plus faible. Elles trouvent plus difficilement un emploi. Leur niveau de revenu est significativement plus bas »,indiquait alors Jean-Pierre Poulain, évoquant l’impact sur la mobilité sociale via le mariage : « Les femmes minces font plus fréquemment des mariages ascendants, c’est-à-dire qu’elles se marient avec des hommes de statuts sociaux plus élevés qu’elles. Et à l’inverse les femmes fortes réalisent plus souvent des mariages descendants, c’est-à-dire qu’elles se marient avec des hommes de statuts sociaux moins élevés qu’elles. »

Et le sociologue de conclure : « Sous la pression du modèle d’esthétique de minceur, le mariage apparaît comme une véritable “gare de triage”, orientant les femmes minces vers le haut de la société et les femmes fortes vers le bas. »