On a fait le «Paris Noir», une visite guidée qui prend en compte l’histoire des noirs

Avec Kévi Donat, depuis deux ans, on peut visiter le «Paris Noir».

À 31 ans, ce guide touristique né en Martinique a imaginé cette visite de Paris pas comme les autres. L’idée de faire voir cet «autre Paris» lui est venue avec les nombreuses questions de touristes: «Pourquoi il y a t-il autant de noirs à Paris? D’où viennent-ils? Est-ce que ça se passe bien?»

La réponse de Kévi Donat a pris la forme d’un ensemble de visites consacrées à l’histoire des noirs dans Paris. Ce type de visite est monnaie courante de l’autre côté de l’Atlantique, mais beaucoup plus inédit en France. Que ce soit pendant le mois consacré à l’Histoire des noirs (Black History Month) ou toute l’année, il est possible de visiter les endroits historiques qui ont marqué les États-Unis à travers le sport, la culture et même la gastronomie.

Le tour du «Paris Noir» peut se réaliser en une seule fois ou en deux parties: la première est consacrée à la rive gauche, qui revient sur les figures intellectuelles historiques noires, et la deuxième à la rive droite, beaucoup plus contemporaine.

La visite de la rive gauche débute sur la place du Panthéon, l’occasion de découvrir des Grands Hommes souvent peu connus, venus d’Afrique, d’Amérique ou des Antilles, comme Cheikh Anta Diop, historien sénégalais.

À travers la Sorbonne, St-Germain-des-Prés et le quartier Latin, on entre dans l’univers des intellectuels noirs du XXe siècle. Si on est parisien, on découvre alors une autre vie à ces endroits parfois si familiers. Kévi Donat fait le même constat: «Diplômé de Sciences Po, j’avais déjà quelques connaissances sur le sujet mais quand j’ai commencé à faire quelques repérages, je me suis rendu compte qu’il s’était passé énormément de choses à ces endroits et que je ne le savais pas. J’ai eu un peu honte.»

On apprend par exemple que Gaston Monnerville fut le premier président noir du Sénat ou que Paulette Nardal fut la première femme noire à étudier à la Sorbonne mais aussi l’une des instigatrices du mouvement féministe martiniquais.
De l’information historique à l’anecdote sociologique, la visite du «Paris Noir» permet de se rendre compte de l’impact important qu’ont eu les noirs dans la capitale et vice-versa.
Le passage vers la rive droite ramène au XXIe siècle, pour une visite du «Paris noir» d’aujourd’hui. Kévi Donat aborde entre autres la vague d’immigration qui s’est particulièrement installée dans le 18e arrondissement. Nombreux sont les visiteurs étrangers à être «perturbés» par ce changement de rive, explique le guide. D’un coup, ils passent d’un quartier pittoresque à un quartier charmant certes, mais plus oppressant à cause de la foule, des vendeurs à la sauvette et du dynamisme qui y règne.
De Strasbourg-Saint-Denis à la Porte de Clignancourt, on croise marchés, coiffeurs afro, HLMs… Ici, on (re)découvre le Paris socialement moins privilégié, où des personnes issues de l’immigration façonnent aussi la capitale. Comme ce moment où l’on passe devant l’Église St-Bernard, qui avait été en 1996 le symbole d’un mouvement pour les sans-papiers. Des souvenirs lointains ou inexistants pour les plus jeunes qui découvrent alors une autre facette de ce quartier.
La gentrification du 18e est évoquée dans cette partie de la visite, notamment avec la Brasserie Barbès qui se trouve juste avant d’entrer dans le quartier de la Goutte d’Or, connu pour son fort brassage culturel.

Sur ce point, Kévi Donat n’a pas d’avis tranché: il estime qu’un établissement à lui seul «ne peut transformer tout un quartier». «Par sa carte, ses tarifs, sa taille et le buzz qu’elle a suscitée, elle attire une nouvelle clientèle qui n’aurait peut-être jamais mis les pieds à la Goutte d’Or. Mais au-delà de ça, il y a d’autres questions tout aussi importantes qui concernent l’avenir du quartier comme l’agrandissement de la station Château Rouge et surtout la création du Marché des 5 continents dans le quartier des Mines, prévue dans les prochaines années.»

Pour Kévi Donat, le «Paris Noir» n’est pas une visite pour les noirs, mais une visite sur les noirs et ce qu’ils ont apporté à Paris, une question rarement abordée dans les livres scolaires et encore moins dans les visites touristiques classiques. Particulièrement prisée par les étrangers et notamment par les communautés noires des États-Unis et de la Grande-Bretagne, la visite est aussi très appréciée des Français qui sont de plus en plus nombreux à y participer, selon le guide. Il ajoute que les personnes les plus âgées sont celles qui «connaissent le mieux l’Histoire des noirs», notamment les afro-descendants. «Pour les plus jeunes, il y a une vraie découverte mais je constate qu’ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à ces problématiques.»

Il est bien évidemment impossible d’évoquer toutes ces questions en 3h30 de déambulation, mais c’est sans aucun doute l’introduction idéale pour ceux qui auraient envie d’en savoir plus, et de ne plus marcher dans Paris sans se poser la question: «Que s’est-il passé à cet endroit?» Pour Kévi Donat, c’est certain: «En plus de vouloir me démarquer, ce tour est avant tout une manière de se rappeler que l’Histoire de la France est marquée par l’Afrique, l’Outre-Mer, l’esclavagisme, la colonisation et par les différentes migrations.»

Jennifer Padjemi

Source: http://www.buzzfeed.com/jenniferpadjemi/on-a-fait-le-paris-noir-une-visite-guidee-qui-prend-en-compt?utm_term=.vtBxOja4p#.trqbV1qpo

Retrouvez la visite lors des formations sur la lutte contre les discriminations ethno-raciales: http://entre-autre.fr/formations/origine/