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Les Irlandais ont dit « oui » à plus de 66 %, vendredi, à la légalisation de l’IVG lors d’un référendum, selon les premiers sondages réalisés à la sortie des urnes.

Rurale ou urbaine, masculine ou féminine, jeune ou âgée : l’Irlande tout entière a plébiscité le droit à l’avortement, vendredi 25 mai, lors d’un référendum historique qui rompt avec des siècles de prohibition et confirme spectaculairement la perte d’influence de l’Eglise catholique.

Plus des deux tiers des 3,3 millions d’électeurs – soit 66,4 %, selon les résultats définitifs rendus publics samedi 26 mai – ont voté en faveur de l’abrogation du 8e amendement de la Constitution, qui prohibe, de fait, tout avortement, en protégeant « l’enfant à naître » au nom de son droit à la vie « égal à celui de la mère ».

Un résultat sans appel

« Il semble que nous écrivions une page historique », a tweeté le premier ministre de centre droit Leo Varadkar. « Je m’endors ce soir avec l’espoir de me réveiller dans un pays plus généreux, plus attentionné et plus respectueux », a déclaré, pour sa part, le ministre de la santé, Simon Harris, voix marquante de la campagne du « yes ». Le résultat définitif du référendum devrait être proclamé officiellement samedi après-midi.

L’avortement, passible de la prison à vie entre 1861 et 2013, et de quatorze ans de détention depuis, va ainsi être légalisé en Irlande. L’ample victoire du « oui » propulse l’Irlande, dont la législation est l’une des plus restrictives et répressives d’Europe en matière d’avortement, dans le droit commun de l’Union européenne (UE). Les quelque 5 000 Irlandaises qui, chaque année, sont contraintes, pour avorter, de se rendre au Royaume-Uni à leurs frais, ou de commander sur Internet des pilules abortives à leurs risques et périls, pourront bénéficier d’un accueil médical dans leur pays dès que la loi, promise par le gouvernement Varadkar, aura été approuvée.

Le projet de loi publié avant le référendum prévoit que l’IVG pourra être pratiquée sans justification pendant les douze premières semaines de grossesse ; jusqu’à vingt-quatre semaines en cas de risque grave pour la santé de la mère ; et ensuite seulement en cas d’anomalie fœtale.

 

La levée d’un vieux tabou

Selon les sondages de sortie des urnes, les campagnes (60 %) ont approuvé la libéralisation de l’IVG, presque autant que les villes (71 %), les hommes (65 %) presque autant que les femmes (70 %), les jeunes (87 % des moins de 25 ans) nettement plus que leurs aînés (63 % des 50-64 ans).

« Derrière presque chaque porte à laquelle nous frappions, il y avait une histoire d’avortement, parfois très ancienne, qui n’avait pas pu être racontée jusqu’à présent », témoignait, vendredi soir, une militante du « oui ».

Comme lors du référendum de 2015 sur le mariage homosexuel, qui avait donné lieu à de multiples coming out publics et à des manifestations de solidarité, la campagne pour le droit à l’IVG a été marquée par de nombreuses confessions et par la levée d’un vieux tabou.

Avant le vote, prédit comme serré, l’éventualité d’une victoire du non mettait la larme à l’œil de bien des femmes militant pour leur liberté. Trop de drames vécus dans la honte et la solitude, trop de situations aberrantes comme ces grossesses pathologiques ou résultant d’un viol poursuivies coûte que coûte, ces femmes dissuadées de « voyager » en Grande-Bretagne.

L’Eglise s’est montrée discrète durant la campagne

En 1995, les Irlandais n’avaient approuvé la légalisation du divorce que par 50,3 % des voix ; en 2015, ils ont dit « oui » au mariage homosexuel par 62,07 % et ils viennent donc de légaliser l’avortement par 68 %. Une progression qui reflète la disparition de l’ascendant moral de l’Eglise catholique, qui a longtemps servi d’armature à l’Etat, après les guerres civiles des années 1920, qui ont libéré l’Irlande de la tutelle britannique.

En 1983, le clergé, encore tout-puissant et craignant une jurisprudence libérale de la Cour suprême, avait réussi à faire voter à 66,9 % le 8e amendement à la Constitution qui interdisait l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste, même si le fœtus souffrait de malformation. Cadenassée dans la loi suprême, la prohibition devenait impossible à annuler par la loi.

Mais depuis lors, les scandales n’ont cessé d’éclabousser l’Eglise : pédophilie de prêtres, révélation sur la vente des bébés de filles-mères exploitées dans des blanchisseries (Magdalen Laundries) par des religieuses dans les années 1950, découverte d’un charnier d’enfants au couvent de Tuam en 2014… Difficile de considérer le clergé catholique comme défenseur des femmes et des enfants.

Certes, 87 % des Irlandais se disent encore catholiques, et la radio publique sonne l’angélus, mais les messes sont moins fréquentées et les couvents ne recrutent plus. L’Eglise avait d’ailleurs préféré se montrer discrète pendant la campagne du référendum. Vendredi, des électeurs ont protesté contre la présence d’une Bible dans certains bureaux de vote. La loi électorale le prévoit, en effet, pour permettre aux électeurs de jurer de leur état civil s’ils ne sont pas en mesure de produire un document d’identité.

Un triomphe pour le premier ministre

La victoire impressionnante du oui résulte d’une subtile campagne de la société civile lancée après le scandale provoqué en 2012 par la mort en couches, à l’hôpital de Galway, de Savita Halappanavar, 31 ans, d’une septicémie fulgurante après s’être vu refuser une IVG en dépit d’une rupture précoce de la membrane.

Intense lobbying des responsables politiques, sensibilisation de l’opinion à travers des témoignages publics, « ce référendum n’est pas tombé du ciel. Il a été patiemment et stratégiquement préparé depuis des années », confiait, avant le vote, Ailbhe Smyth, figure de proue de la campagne du « oui ».

Une première victoire inattendue est survenue en avril 2017, lorsqu’une assemblée citoyenne présidée par une juge de la Cour suprême a recommandé cette réforme libérale, sans restriction, jusqu’à douze semaines. Des milliers de témoignages, notamment de ceux relatant la popularisation de la pilule abortive, ont montré que le statu quo était impossible. Le principe d’un référendum était acquis. Il faudra le feu vert d’une commission parlementaire et des sondages favorables pour que le premier ministre, d’abord réticent, annonce qu’il fera campagne pour le « oui ».

Le résultat du vote de vendredi apparaît comme un triomphe pour M. Varadkar. Il pourrait l’inciter à pousser son avantage dans deux directions : en provoquant des élections législatives anticipées et, avec le soutien des Vingt-Sept, en haussant le ton à l’égard du Royaume-Uni pour éviter que le Brexit, catastrophe potentielle pour l’Irlande, ne se traduise par le retour de la frontière avec l’Irlande du Nord.

Les 25 et 26 août, le premier ministre irlandais accueillera le pape François, qui vient à Dublin pour clôturer la Rencontre mondiale des familles.

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