Les inégalités liées à la couleur de peau et aux origines remontent dans les priorités d’actions de nombreuses entreprises. Ce sujet, moins régulièrement travaillé, perçu parfois comme « sujet à risque », où la peur de l’expression malheureuse peut être forte, n’est pas toujours évident à affronter et conduit parfois à des approches qui créent de la confusion.

Comme sur d’autres sujets, il faut distinguer la façon dont on va traiter l’idéologie de ses conséquences et faire attention aux confusions avec d’autres sujets.

Premièrement, à l’instar de ce qu’on fait par exemple contre le sexisme ou l’homophobie, une entreprise doit lutter contre toutes formes d’expressions ou actes de racisme au quotidien. Que ce soient des propos, des insultes, du harcèlement, des exclusions ou des discriminations volontaires, réaffirmer que le racisme et l’antisémitisme n’ont pas leur place au quotidien est essentiel et cela doit se traduire par des actions de prévention et de sanction quand cela survient.

Ainsi, on lutte contre l’idéologie en rappelant qu’elle n’a pas le droit de citer dans l’espace public, comme cela est très clairement défini dans le droit français.

Mais ces systèmes ont aussi une histoire qui continue d’agir sur les représentations collectives au travers des biais et des stéréotypes. Par exemple, les siècles de diffusion de stéréotypes sur les femmes conduisent encore de nombreux hommes à couper la parole plus fréquemment aux femmes qu’aux hommes. La plupart n’en ont pas conscience avant qu’on leur fasse remarquer et ils peuvent ainsi adapter leurs comportements. Pas systématiquement, mais le fait de l’avoir fait remarquer une première fois permet de prendre d’autres mesures si cela venait à continuer.

Sur l’origine, un siècle de classification raciale et de diffusion d’une vision raciste auprès de toute la société ne s’efface pas du jour au lendemain. Et de la même manière, certaines personnes vont attribuer moins d’importance à ce que dit une personne noire, d’autres vont privilégier le rapport de force à la discussion avec des personnes arabes ou magrébines ou vont être plus dures en négociation salariale avec une personne juive. Est-ce que cela est conscient et volontaire ? La plupart du temps, non.

Pourtant, les impacts en matière d’inégalités de parcours à compétences égales peuvent être importants et constituer des discriminations que peu d’entreprises, jusqu’à présent, cherchent à objectiver et à corriger. Je pourrais vous raconter beaucoup d’exemples de managers qui m’expliquaient avoir eux-mêmes pris conscience de cela en regardant de plus près les rémunérations de leurs équipes au regard de la couleur de la peau de leurs salariés et qui se sont rendu compte d’écarts inexplicables. La conclusion de cela n’est pas que ce sont de mauvaises personnes, mais bien qu’il y a des phénomènes complexes qui conduisent à une multitude d’inégalités qui méritent qu’on s’y confronte pour les corriger.

À ce moment arrive généralement la réflexion « on ne peut pas mesurer et sans mesure on ne peut pas progresser ». Sans de nouveau rentrer dans les détails (voir ici), les mesures ethniques ne sont pas interdites, seulement encadrées, et rien n’empêche d’en faire pour mesurer les inégalités, y compris dans les entreprises.

La conséquence de ces idéologies est donc la multitude de discriminations et d’inégalités, souvent inconscientes et involontaires, qui continuent d’être à l’œuvre chaque jour et qui ne se résoudront pas d’elles-mêmes sans une volonté de s’y attaquer.

Je mettais en titre « stop aux confusions », car je dois avouer qu’il y a quelque chose qui m’agace fortement à chaque fois que je parle de ces sujets, c’est la confusion permanente avec la question des quartiers prioritaires autour de ces sujets.

Concrètement, quand je demande les actions pour lutter contre les discriminations ethno-raciales menées dans les entreprises, on me répond la plupart du temps qu’il y a des actions de promotions des jeunes issus des quartiers populaires.

Non pas que j’ai un problème avec ces actions qui sont éminemment nécessaires, mais en quoi cela répondrait de façon globale à la problématique ? C’est comme si on me répondait qu’en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, les seules actions seraient de promouvoir des femmes issues de classes sociales populaires…. C’est certainement nécessaire, mais cette question ne s’arrête pas à l’origine sociale, toutes les femmes peuvent être confrontées à des inégalités dans leur carrière.

Alors, pourquoi le faire sur la question de la couleur de peau et des origines, je ne comprends toujours pas.

Les QPPV (quartiers prioritaires politiques de ville) sont définis par décret uniquement sur la base des revenus. On parle pour grossir le trait, de quartier avec une forte proportion de logements HLM dans lesquels le taux de pauvreté est souvent supérieur à 40%. S’il y a une proportion de personnes immigrées ou issues de l’immigration importante dans ces quartiers pour des raisons historiques, la question des discriminations ethno-raciales qui frappent ces habitants est une des nombreuses composantes des difficultés qui se sont cumulées depuis de nombreuses années. Services publics, petite enfance, transports, sécurité, emploi, logement, éducation, je pourrais lister encore beaucoup de sujets sur lesquels les difficultés sont plus importantes qu’ailleurs. (voir à ce sujet le rapport Boorlo : https://www.ville-et-banlieue.org/wp-content/uploads/2018/05/Re%CC%81sume%CC%81-des-19-programmes-PlanBanlieue-JL.BORLOO.pdf)

Autant dire que quand nous sommes face à des personnes diplômées issues de ces quartiers, c’est certainement nous qui avons à apprendre d’eux plus que l’inverse tellement il faut une force et de la détermination pour mettre à mal l’ensemble des déterminismes qui se cumulent dans ces territoires. Autrement dit, continuons d’œuvrer pour l’égalité des chances, non pas dans une logique de « charité », mais bien pour que tout le monde soit respecté et traité à égale dignité.

Pour conclure, et c’est un cri du cœur, arrêtons de résumer la lutte contre les discriminations ethno-raciales aux quartiers populaires, les biais ne s’arrêtent pas à la question sociale et nous ne progresserons pas sur ces sujets sans prendre conscience de l’étendue du travail qu’il nous reste à faire à tous les niveaux de l’entreprise.

Etienne Allais

etienne.allais@entre-autre.fr