Sur un joli tintement de boîte à musique, Swagger débute comme un conte pour enfants. Les lumières de la ville clignotent dans la nuit, la caméra vole, tous les possibles sont ouverts. Que va-t-on nous raconter ? Une voix de garçon : «Aulnay, je sais pas si ça existait avant… Peut-être c’était une forêt ?» On survole des tours, une voix de fille lui répond : «Avant, il y en avait plein qui avaient des origines françaises. Quand les Noirs et les Arabes sont arrivés, ils sont partis.» Quelque chose se serre à ces mots, et pourtant la petite musique continue de clocheter, la caméra de voler, les possibles de rester ouverts. Et en quelques secondes est posé l’étrange mariage qui fait le sel de Swagger, perché entre propos réalistes et images stylisées, docu et fiction, point de vue à hauteur d’enfants et volonté d’en faire des héros. Onze gamins qui vont raconter leur quotidien d’élèves au collège Claude-Debussy d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et crever l’écran à chaque seconde, mais qui ne seront jamais regardés comme ils l’ont été jusque-là.

Ces enfants, le réalisateur Olivier Babinet les connaît bien. Il les a côtoyés pendant deux ans, lors d’un atelier puis d’une résidence au collège, avant de se décider à fabriquer le film. D’où, sans doute, la liberté avec laquelle ces jeunes s’expriment dans les couloirs de leur collège, répondent aux questions (toutes identiques, que l’on n’entend pas) sur leur enfance ou leur rapport à la France.

Sourire

Ce dispositif hyper simple est augmenté de saynètes de style, dansantes ou ralenties, clip, science-fiction ou comédie musicale, qui viennent appuyer et magnifier leurs propos. Et l’on a envie d’applaudir à ces incursions hollywoodiennes qui font d’eux des stars. Pas seulement parce qu’un ado est toujours héroïque de survivre à cet âge cruel, mais parce qu’eux le sont un peu plus. On verra donc Naïla déclarer qu’elle veut être architecte, «car les architectes qui vivent dans les grandes villes, ils savent pas la vie de banlieue, ils font des grands bâtiments, et les gens veulent pas vivre dedans», alors qu’Aaron se rêve gagnant à l’élection présidentielle. On verra l’hyper cinégénique Régis, dont l’énorme sourire est préservé par un brossage de dents assidu, sublimé dans un ralenti léché, son imper au vent, offrir ce jugement politique imparable : «Quand Obama marche, il a la classe, quand Hollande marche il ne se passe rien.»

Et passé les premiers moments séduisants grâce aux plus charismatiques, Swagger se déploie vraiment dans sa patiente attention aux plus timides, aux moins flamboyants. Tel Paul, né à Pondichéry, en Inde, toujours vêtu de son costard-cravate, qui dira son sentiment de chance d’habiter ici, et son «envie de pleurer»quand on lui balance des propos racistes. Quel cadeau de le voir ensuite arpenter la ville tel Gene Kelly, au son d’un langoureux rockabilly. Des «Français», ils disent tous n’en avoir jamais vu, ou alors si peu, avant de tous se reprendre : «des Français de souche».

«Fantôme»

A chaque fois que l’un parle, la caméra passe furtivement sur un autre visage, en contrepoint, sans que l’on sache vraiment si cet(te) autre était réellement là, si l’exercice a été réflexif. Mais ils sont désormais un groupe, et ils ont changé : Aïssatou qui, aux premières minutes, ne parvient pas même à dire son nom et explique être «un fantôme»,s’épanouira au gré du film. Elle parviendra à nommer le traumatisme qui l’a emmurée, une prof de maternelle qui s’était acharnée sur elle. Et si le film n’adopte aucun discours sociologique, on est libre de tirer les conclusions que l’on veut. Que le cinéma soit venu réparer ce que d’autres ont abîmé, qu’il puisse se réenchanter ainsi dans un univers souvent figé dans des représentations caricaturales, en fait la bonne fée du conte.

http://next.liberation.fr/cinema/2016/11/15/swagger-le-chant-des-possibles_1528599