A. Un constat qui dérange : le racisme, grand absent des négociations sociales

Dans une étude récente publiée par la Dares (juillet 2025), Manon Torres, postdoctorante au Ceet-Cnam, révèle un paradoxe frappant : les questions ethno-raciales sont quasi absentes des négociations collectives et des accords d’entreprise en France, malgré leur impact concret sur les salariés. Pourtant, les chiffres sont accablants :

Pourtant, seulement 24 % des grandes entreprises ont signé un accord spécifique sur la lutte contre les discriminations, contre 95 % pour l’égalité femmes-hommes et 76 % pour le handicap. Pourquoi un tel décalage ?

B. Pourquoi les questions ethno-raciales sont-elles si peu abordées ?

L’étude de Manon Torres apporte des éléments de réponse, en analysant à la fois les accords d’entreprise et les discours des acteurs (syndicalistes, responsables RH).

1. La « déracialisation » des politiques de diversité

L’autrice montre que la lutte contre les discriminations ethno-raciales a été progressivement diluée dans des politiques plus larges de « diversité » ou de « non-discrimination ». Résultat : les accords d’entreprise se concentrent sur des critères comme le genre, le handicap ou l’âge, mais éludent les enjeux ethno-raciaux. Pourtant, comme le souligne Torres :

« le racisme au travail est un problème structurant, mais il est traité comme un non-sujet »

2. Le blocage des statistiques ethniques : un faux problème ?

En France, les statistiques ethniques sont souvent perçues comme interdites. Pourtant, il est possible de mesurer les inégalités sans recourir à des catégories raciales. Comment ?

« Mesurer les origines géographiques, c’est un moyen légal et efficace pour objectiver les discriminations. » — Défenseur des droits, Guide méthodologique (2012)

3. Le piège du déni : « Chez nous, ça n’existe pas »

Les acteurs du dialogue social (syndicats, RH) justifient souvent leur inaction par :

« Le racisme, c’est comme la pollution : même invisible, il a des effets concrets. » — Un délégué syndical interrogé dans l’étude

C. L’universalisme, un frein ou un levier ?

Contrairement à une idée reçue, l’approche universaliste française n’empêche pas de lutter contre le racisme. Elle impose simplement de ne pas essentialiser les individus en les réduisant à leur origine, mais de cibler les inégalités structurelles qui les affectent.

Comme le montre Manon Torres, les entreprises et les syndicats peuvent agir sans créer de catégories ethniques, en se basant sur des critères légaux et objectifs (origines géographiques, vécu des discriminations).

1. Comment concilier universalisme et lutte contre les discriminations ?
2. 5 actions concrètes pour passer des discours aux actes
  1. Mesurer (sans tabou, mais avec méthode)
    • Comparer les situations selon les origines géographiques.
    • Lancer des enquêtes anonymes sur le vécu des discriminations.
  2. Former et sensibiliser
    • Former les managers et RH aux biais inconscients.
    • Créer des espaces de parole pour les salariés.
  3. Agir sur les processus RH
    • Auditer les recrutements.
    • Analyser les écarts de carrière.
    • Sanctionner les discriminations.
  4. Intégrer les enjeux ethno-raciaux dans les accords existants
    • Les inclure dans les textes sur l’égalité professionnelle ou la QVT.
    • Fixer des objectifs chiffrés.
  5. S’inspirer des bonnes pratiques
    • La Seine-Saint-Denis : cible explicitement les discriminations raciales.
    • Les entreprises pionnières : certaines ont agi face à des demandes discriminantes.

Et maintenant ? À vous de jouer

Comme le montre l’étude de Manon Torres, le racisme au travail n’est pas une fatalité – mais pour le combattre, il faut d’abord le reconnaître, le mesurer et en parler. Les outils existent. Il manque souvent la volonté politique et collective pour les utiliser.

Si vous souhaitez avancer sur ces sujets, contactez-nous.

Etienne Allais