Inconsciemment, nous pensons que les personnes d’un groupe étranger sont moins humaines, moins intelligentes et moins susceptibles d’éprouver des sentiments complexes, montrent les études.
En 2017, plus de 90 % de Français déclaraient révoltant le refus d’embaucher une personne qualifiée pour un poste, ou de lui louer un logement, pour la seule raison qu’elle est noire ou d’origine maghrébine (sondage CNCDH/Ipsos). Pourtant, dans son rapport annuel de 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) observait que ces mêmes Français étaient 54 % à estimer qu’il y a trop d’immigrés en France. Et dans son rapport de 2018, elle pointait des actes racistes tout aussi nombreux.
Certes, les sondages sur des questions aussi sensibles sont à manier avec précaution. Mais cette ambivalence, qui n’est pas propre à la France, n’en est pas moins évidente, preuve que le racisme reste un phénomène plus complexe qu’on ne le croit. Et les études menées en psychologie sociale (principalement aux États-Unis, où la question du racisme a un poids historique considérable) montrent que nous sommes en effet beaucoup plus racistes que nous le croyons.
Professeur à l’université de Yale, le psychologue John Dovidio démontre depuis plus de vingt-cinq ans que l’on peut avoir un discours sincèrement antiraciste tout en manifestant au quotidien des pratiques inconscientes de discrimination vis-à-vis de certaines catégories de personnes, dès lors qu’elles peuvent être justifiées par des arguments pseudo-rationnels. Il a ainsi confronté différentes personnes blanches à l’agression (simulée) d’une femme au couteau. Dans un cas, la femme agressée est blanche, dans l’autre, noire. Résultat ?
Quand la personne pense être le seul témoin de la scène et donc moralement tenue d’intervenir, elle porte secours à la victime, qu’elle soit blanche ou noire. Mais lorsque la personne croit que d’autres assistent comme elle à l’agression, et qu’elle peut donc se convaincre que d’autres interviendront à sa place, elle porte secours deux fois moins souvent à la femme noire qu’à la femme blanche (38 % contre 75 %). Idem lorsqu’on demande à des cobayes blancs, qui s’affirment pourtant non-racistes, de choisir un candidat pour un poste : quand les compétences sont sans ambiguïté, le candidat noir n’est pas discriminé. Mais lorsque ces compétences trahissent des forces et des faiblesses, le candidat blanc est systématiquement favorisé par rapport au candidat noir.
Les actes antisémites en forte hausse
© SHUTTERSTOCK – M. KONTENTE
Malgré une récente baisse, les actes haineux (courbe orange) recensés en France ont globalement augmenté depuis vingt-cinq ans. Et, d’après les chiffres des neuf premiers mois de 2018, les actes antisémites sont en très forte hausse : + 69 %.
Malgré une récente baisse, les actes haineux (courbe orange) recensés en France ont globalement augmenté depuis vingt-cinq ans. Et, d’après les chiffres des neuf premiers mois de 2018, les actes antisémites sont en très forte hausse : + 69 %.
En 2012, John Dovidio a montré, avec sa consœur Susan Fiske, de l’université de Princeton, que ce racisme inconscient entraînait de fortes inégalités de soins dans les hôpitaux américains. Ils ont observé que les patients noirs étaient moins souvent admis que les blancs au bloc opératoire pour certains cancers ; Asiatiques et Hispaniques subissant, au contraire, davantage de chirurgies inutiles que les Blancs. Les médecins juraient pourtant ne pas faire de différence entre les personnes. Pour John Dovidio, si ce racisme inconscient est si répandu, c’est parce qu’il a une valeur « adaptative ». En clair, il nous permet de nous adapter à une situation nouvelle et potentiellement dangereuse : la rencontre avec quelqu’un que l’on n’a jamais vu.
Dès qu’une personne se retrouve face à un inconnu, deux questions instinctives s’imposent en effet à elle. Est-ce un ami ou un ennemi ? A-t-il les moyens d’accomplir son intention amicale ou hostile ? Il faut une réponse rapide. Or, faute d’informations sur l’inconnu, le cerveau ne peut que s’appuyer sur des stéréotypes pour garantir sa survie. Et cela, quand bien même ces stéréotypes ne s’appuieraient sur aucune réalité objective. « Un cerveau sans idées préconçues n’a jamais été d’une grande utilité », rappelait dans son ouvrage publié en 2012 Som mes-nous tous racistes ? le psychologue belge Jacques-Philippe Leyens, décédé en 2017. Selon lui, les stéréotypes sont primordiaux pour guider l’action, en attendant de disposer d’informations supplémentaires pour pouvoir les dépasser.
Amour des siens, haine de l’autre
Les psychologues sociaux ont démontré que le premier moteur de la discrimination n’est pas la haine de l’autre, mais l’amour des siens. Ils observent en effet, chez tous les individus, une inclination à favoriser le groupe auquel ils s’identifient (l’endogroupe) par rapport aux autres groupes (les exogroupes). Cet ethnocentrisme naîtrait du besoin fondamental de l’enfant de développer des relations privilégiées avec certaines personnes (ses parents, sa famille, ses amis…), ce qui a pour conséquence d’en exclure d’autres. Observé dans toutes les cultures dès l’âge de 5 ans, cet effet est rapide et puissant : si l’on divise arbitrairement une classe en deux groupes (les jaunes face aux rouges) et qu’on demande aux enfants de distribuer des récompenses, ils avantagent systématiquement leur groupe par rapport à l’autre, dans lequel ils avaient pourtant de nombreux amis quelques minutes avant l’expérience. Ils accepteront même de recevoir individuellement moins de récompenses si, par ce biais, ils ont la certitude d’en obtenir davantage pour leur groupe. L’important est donc que son groupe ait davantage que les autres, quoi qu’il arrive.
Quitte à faire souffrir l’autre groupe ? L’indifférence à la souffrance des étrangers a perdu de son mystère depuis qu’a émergé, dans les années 2000, le concept d' »infrahumanisation » sur lequel Jacques-Philippe Leyens a beaucoup travaillé : les personnes d’un groupe étranger sont inconsciemment perçues comme moins humaines que celles de son propre groupe, c’est-à-dire moins intelligentes et moins susceptibles d’éprouver des sentiments complexes (amour, honte, admiration…).
Moins humain que nous, l’étranger suscite donc moins d’empathie. Menées par une équipe chinoise, des expériences en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont révélé que le cerveau d’une personne blanche voyant le visage d’un blanc piqué par une aiguille activera davantage les circuits de la douleur partagée que si le visage vu est celui d’un Asiatique. Et vice versa : le cerveau d’un Asiatique réagira beaucoup plus à la vue d’un compatriote piqué qu’à celui d’une personne caucasienne.
Nécessaire prise de conscience
Il en est de même pour la résonance sensorimotrice, traduisant l’empathie, qui est bien moins présente lorsque le visage est supposé appartenir à un membre d’un exogroupe, signe que cette infrahumanisation n’est pas spécifique à un continent. Par ailleurs, des psychologues américains ont montré que plus une personne possède un fort réseau social, plus elle infrahumanise ceux qui n’en font pas partie, sans doute parce que son besoin de nouer de nouveaux contacts est moindre. Un résultat cohérent avec d’autres études qui ont relevé que plus la cohésion et l’altruisme entre les membres d’un groupe sont forts, plus ils s’accompagnent de comportements de rejets vis-à-vis des groupes extérieurs, les groupes soudés ayant plus tendance à considérer les autres comme moins humains qu’eux.
Le racisme est-il donc inévitable ? Au contraire, insistait Jacques-Philippe Leyens : « C’est en prenant conscience du raciste qui sommeille en nous que nous parviendrions plus facilement à nous en affranchir. «
Source : https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/notre-cerveau-est-il-predispose-au-racisme-54059