Après les tentatives de destruction des Arméniens et des Juifs d’Europe, le génocide des Tutsi en 1994 est le dernier des génocides du 20e siècle. En 3 mois, il causa la mort de près d’un million de victimes.
Le génocide des Tutsi au Rwanda eut lieu du 7 avril au 17 juillet 1994. Il s’inscrit historiquement dans un projet génocidaire latent depuis plusieurs décennies, à travers plusieurs phases de massacres de masse, et stratégiquement dans le refus du noyau dur de l’État rwandais de réintégrer les exilés Tutsi, objet de la guerre civile rwandaise de 1990-1993.
A l’instar des génocides précédents, celui des Tutsi a commencé par une phase de stigmatisation de la population, s’est poursuivi par la persécution qui allait déboucher sur la mise à mort.
Comment en est-on arrivé là ? Les effets de la colonisation
Pour comprendre les raisons de ce massacre, il faut remonter à l’époque de la colonisation du pays. Sous domination allemande dès le début du XXe siècle, le Rwanda subit les affres d’une idéologie ethnologique déjà prégnante, qui, progressivement, va « racialiser » ce qui étaient avant tout des groupes sociaux partageant tous la même langue et la même culture. Les Tutsi (pasteurs, parmi lesquels se trouve la royauté) vont être désignés comme supérieurs aux Hutu (cultivateurs) et aux Twa (cueilleurs) et être réputés d’une origine différente de celle des Hutu et des Twa. Cette vision racialiste de la réalité rwandaise fait écho à la théorie hamitique, selon laquelle les éléments civilisationnels présents en Afrique sont le fait de l’apport de peuples non pas spécifiquement africains mais ayant des racines lointainement européennes.
À la fin de la première guerre mondiale, la Belgique reprend le flambeau de la colonisation, et ne trouve rien à redire à cette situation qui lui paraît bien établie. D’un côté, les Tutsi ont accès à l’instruction et occupent des postes à responsabilités dans l’administration. De l’autre, les Hutu cultivent la terre et restent cantonnés aux classes socioéconomiques inférieures.
La discrimination raciale va plus loin en 1931, lorsque le colonisateur belge décide la mise en place d’une carte d’immatriculation désignant l’ethnie d’origine des Rwandais. Désormais, les habitants sont caractérisés par leur origine tutsie, hutu ou twa. Les groupes sociaux d’hier deviennent des prétendues ethnies auxquelles on n’échappe pas.
La « Toussaint rwandaise »
Dans les années 1950, les Tutsi en viennent à réclamer l’indépendance.
Les colonisateurs belges, qui se sont appuyés jusque-là sur les Tutsi pour l’administration du royaume, s’inquiètent de leurs prétentions. Ils jugent l’indépendance prématurée et, pour la différer, encouragent les revendications hutues. C’est ainsi que des Hutu reprennent à leur compte la théorie hamitique. Selon eux, les Tutsi seraient des intrus venus de la région du Nil… et les invitent à y retourner ! La tension débouche le 1er novembre 1959 sur une révolution sociale qui permet aux Hutu de prendre le pouvoir.
Cette « Toussaint rwandaise » se solde par des dizaines de milliers de morts, essentiellement des Tutsi. Un nombre équivalent de Tutsi se réfugient dans les pays voisins (Ouganda, Congo, Burundi). Ils s’installent dans des camps, au pied des hauts plateaux rwandais, dans la nostalgie de leurs pâturages et de leurs troupeaux. En 1962, le pays devient officiellement indépendant, sous un pouvoir dominé par les Hutu. Les exodes de Tutsi, incursions de réfugiés et massacres se poursuivent durant toutes les années 1960.
À l’issue de ces événements, le président rwandais – Grégoire Kayibanda – est accusé par les Hutu ultras d’être trop tendre avec les Tutsi avec lesquels il ne rejette pas de négocier. L’année suivante, un coup d’État le renverse et amène au pouvoir un tenant d’une politique de dureté à l’égard des Tutsi : le général Juvénal Habyarimana.
Français et Américains s’invitent dans le conflit
Le 30 septembre 1990, dans l’Ouganda voisin, des militaires tutsis appartenant au « Front Patriotique Rwandais » (FPR) quittent leurs casernes et pénètrent au Rwanda en vue de récupérer la terre de leurs ancêtres. Ces exilés déterminés, convertis à l’anglais, attirent l’attention des Américains au moment où ceux-ci commencent à s’intéresser à l’Afrique…
C’est l’affolement à Kigali, dans le clan Habyarimana, où l’on commence à faire les valises. Mais voilà que le dictateur reçoit l’appui inespéré du président de la République française, François Mitterrand… Quelques centaines de parachutistes dissuadent les soldats Tutsi de Paul Kagamé de poursuivre plus avant leur offensive. Le régime est sauvé mais pas pour longtemps.
En prévision de l’ultime affrontement, que chacun sait inéluctable, le « Hutu Power » du dictateur forme dans tous les villages une milice hutue : les Interahawe. Habyarimana porte aussi le nombre des « Forces armées rwandaises » (FAR) de 5 000 à 35 000 hommes.
Les combats reprennent en juillet 1992 au nord du pays. A Paris, on commence à se rendre compte du danger et l’on décide de passer le relais à l’ONU.
Le 4 août 1993, les frères ennemis entament des négociations à Arusha, dans la Tanzanie voisine. 2500 Casques bleus sont déployés au Rwanda et les militaires français se retirent.
Le cauchemar
Dans ce contexte, alors que le multipartisme autorisé en 1991 permet à l’opposition de se manifester, le pouvoir hutu développe une propagande haineuse qui prépare psychologiquement la population au génocide. Le rôle de conditionnement des médias comme le poids des mots est déterminant. Les Tutsi sont assimilés à des insectes nuisibles – des cafards – dont il faut se débarrasser.
Le processus d’animalisation va déboucher en avril, lorsque commence le génocide, sur une chasse au « gibier » suivie d’une mise à mort des victimes, abattues avec cruauté et comme du bétail.
Le déclencheur du génocide sera l’attentat le 6 avril à Kigali contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, attentat qui le tue ainsi que son homologue burundais. L’attentat a sans doute été perpétré par les extrémistes hutu, refusant le processus d’Arusha et donc le partage du pouvoir entre Hutu et Tutsi.
Le 7 avril 1994, la première ministre Agathe Uwilingiyimana – une Hutu modérée cherchant à éviter la guerre civile – est assassinée ainsi que 10 casques bleus belges de la MINUAR chargés de sa protection. D’autres personnalités politiques hutues modérées sont assassinées par le « Hutu power », empêchant tout règlement pacifique de la crise.
Des barrières sont dressées par des milices hutues à Kigali puis dans le reste du pays, et, au vu de leurs cartes d’identité, les Tutsi sont systématiquement assassinés. En 100 jours, plus de 800 000 Tutsi ainsi que des Hutu modérés sont assassinés.
Les exécutions se déroulent pendant trois mois. Dans un pays administrativement bien structuré malgré la reprise du conflit avec le FPR, les ordres issus du gouvernement sont relayés par les préfets, qui les transmettent à leur tour aux bourgmestres, lesquels organisent des réunions dans chaque village pour informer la population des consignes données, avec l’appui de gendarmes ou de soldats, ainsi que du clergé. Les ordres sont également transmis par la Radio Télévision Libre des Mille Collines qui encourage et guide jour après jour, heure par heure le génocide, dénonçant les Tutsi encore vivants à tel ou tel endroit. Les FAR (Forces Armées Rwandaises) participent largement aux massacres dans lesquels les fers de lance seront les milices Interahamwe créées par le parti du président Habyarimana deux ans plus tôt. La population, qui participe massivement aux massacres, utilise essentiellement des machettes, des houes et des gourdins cloutés, les « outils ».
Des barrières sont montées sur toutes les routes du Rwanda pour arrêter les fuyards qui sont massacrés sur place. Généralement les autorités locales, parfois sous la pression de hiérarchies parallèles organisées par les préfets, prétextent la mise en sécurité des Tutsi pour les regrouper dans des lieux publics comme les stades, les bâtiments communaux, les écoles et les églises. Ensuite des groupes de miliciens achèvent les personnes, parfois précédés par les FAR qui commencent « le travail » avec des armements adaptés, des grenades notamment. Enfin les maisons de Tutsi sont systématiquement visitées par les miliciens pour sortir ceux qui s’y cachent et les massacrer.
Les massacres atteindront des sommets dans l’horreur. L’ampleur du massacre en trois mois, près d’un million de personnes sont tuées, sa cruauté (des femmes enceintes sont éventrées pour tuer les fœtus, la violence sexuelle est fréquemment employée, des tueries ont lieu au sein de familles mixtes, le sadisme se manifeste dans de nombreux cas) et le nombre d’exécutants en font un des événements les plus atroces du 20ème siècle.
Les massacres ne cesseront complètement que courant juillet, mais on estime que 80 % des massacres étaient accomplis à la mi-mai.
D’ailleurs, à partir du 16 mai, les autorités locales ont normalisé la situation en ouvrant les services publics, les banques, les transports, etc.
Bien peu de Tutsi réchappèrent. Ceux qui le purent furent celles et ceux qui purent se cacher suffisamment longtemps dans les marais et les forêts jusqu’à la déroute du « Hutu power » devant l’avancée du FPR ou qui furent protégés par des Hutu qui les cachèrent.
La capitale, Kigali, est prise le 4 juillet 1994 par le FPR. Les miliciens hutus et les FAR battent en retraite au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), suivis par deux millions de réfugiés hutus qui redoutent les représailles du FPR.
Le 19 juillet 1994, un gouvernement fondé sur les derniers accords d’Arusha, mais dominé par le FPR, prend les rênes du Rwanda. Le président de la République et le Premier ministre sont des Hutus dits modérés. Celui qui a conduit le FPR à la victoire, le général-major Paul Kagame, vice-président et ministre de la Défense, devient l’homme fort du Rwanda.
Le rôle de la France
Le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 est source de controverses et de débats tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la France et du Rwanda. La coopération militaire entre les deux pays remonte à 1975. La France a apporté un soutien militaire, financier et diplomatique au gouvernement hutu de Juvénal Habyarimana contre le Front patriotique rwandais, créé par les exilés Tutsi, pendant la guerre civile rwandaise débutée en 1990. Elle est soupçonnée d’avoir poursuivi ce soutien pendant le génocide des Tutsi au Rwanda. L’ampleur de ce soutien et son impact sur le génocide firent l’objet de vives controverses, en particulier entre les gouvernements français et rwandais et continuent d’influencer les relations diplomatiques entre les deux pays.
L’Opération Turquoise – opération lancée par la France pour officiellement mettre fin au génocide – est ainsi considérée comme une opération dont l’effet principal – sinon le but initial – a été, en retardant l’avancée du FPR, de permettre la fuite des génocidaires en dehors du pays. De la même manière, François Mitterrand, dans les semaines qui suivent le génocide, évoque « un double génocide », semblant renvoyer dos-à-dos un – réel – génocide contre les Tutsi et un – très imaginaire – génocide contre les Hutu.
Le gouvernement français a jusqu’à présent rejeté toute responsabilité dans le génocide, tout en admettant à partir de novembre 2007 qu’avaient pu être commises des « erreurs politiques » qui ont empêché de prévenir ou d’arrêter le génocide.