La haine antisĂ©mite Ă l’Ă©gard de LĂ©on Blum fut d’une violence rare. En collaboration avec Retronews, « l’Obs » raconte.
Par Doan BuiPublié le 20 février 2019 à 18h11
En collaboration avec Retronews le site de presse de la BNF, « l’Obs » plonge dans les archives et raconte un Ă©vĂ©nement historique, via les journaux de l’Ă©poque. « Tuez-le ! Ă€ mort le juif !  »
Ce 13 fĂ©vrier 1936, LĂ©on Blum, alors dĂ©putĂ© SFIO (qui deviendra le Parti socialiste en 1969) sort de la chambre des dĂ©putĂ©s en voiture. Il est bloquĂ© au niveau du croisement de la rue de l’UniversitĂ© et du boulevard Saint-Germain. Un groupe d’Ă©tudiants et de militants royalistes sont venus assister aux obsèques de l’historien Jacques Bainville, proche collaborateur de Charles Maurras, ennemi jurĂ© de Blum et patron du journal d’ultradroite « l’Action française », qui a Ă©crit dans ses pages : »Ce juif allemand naturalisĂ© ou fils de naturalisĂ©, qui disait aux Français, en pleine chambre, qu’il les haĂŻssait, n’est pas Ă traiter comme une personne naturelle. C’est un monstre de la RĂ©publique dĂ©mocratique. DĂ©tritus humain, Ă traiter comme tel. […] C’est un homme Ă fusiller, mais dans le dos. »
Ses écrits semblent donner des ailes à ses affidés, car, ce 13 février, quand ces derniers reconnaissent « Blum le juif », ils bloquent la voiture, tandis que les insultes fusent. « On va le pendre ! » ; « Blum assassin ! »
La foule – plusieurs centaines de personnes selon la police – commence Ă s’Ă©nerver. Une dizaine d’individus s’acharnent sur le vĂ©hicule. Ils tapent avec leurs poings, avec des cannes. Un homme saisit une rampe d’Ă©clairage, tape sur la vitre qui vole en Ă©clat. Blum est blessĂ©. Avec le couple d’amis qui l’accompagnent, il se rĂ©fugie en hâte dans un immeuble tandis que la foule continue Ă gronder : « Achevez-le ! »
Dans « le Populaire », dont Blum est le directeur politique, sera publiĂ©e la photo de son visage pansĂ©. »Ils l’ont eu ! Ils ont failli, du moins, l’avoir. VoilĂ des mois et des annĂ©es qu’ils le guettent, Ă l’affĂ»t du moment oĂą, sans risques, naturellement, pour leurs prĂ©cieuses personnes, Ă cent, Ă des centaines, ils puissent lui “faire son affaire”. Et peu s’en est fallu qu’ils ne rĂ©ussissent. »
Toute la presse n’est pas aussi unanime. « Le Journal », titre de presse conservateur, mais bien plus modĂ©rĂ©, dĂ©sapprouve certes le lynchagedont a Ă©tĂ© victime Blum, mais semble suggĂ©rer que le dĂ©putĂ© de gauche l’a un peu cherché… »Assez de ces incidents. Mais assez aussi de ces provocations. […] Si nous regrettons que le dĂ©putĂ© de Narbonne ait Ă©tĂ© malmenĂ©, nous espĂ©rons qu’il comprendra mieux dĂ©sormais le danger d’un appel Ă la force brutale pour mater ceux qui pensent autrement que lui. »
Au journal « l’Action française », une perquisition est menĂ©e. On y retrouve le chapeau et la cravate de Blum, des trophĂ©es.
« La France sous le juif »
En avril 1936, les suspects sont incarcĂ©rĂ©s, mais bĂ©nĂ©ficient d’une certaine indulgence, trois mois de prison pour l’instigateur principal, quinze jours pour son complice. Tandis qu’un autre manifestant obtient un non-lieu. C’est l’acte de violence, Ă©videmment, et non les insultes antisĂ©mites qui sont poursuivies.
Mai 1936 : le Front populaire gagne le second tour des législatives.
Charles Maurras part en vrille contre « les juifs du cabinet » et « le microbe de la race élue ».
Il en appelle au « couteau de cuisine ». »Chacun prendra conscience du bon moyen de défendre sa vie du sacrificateur juif : le couteau de cuisine. »
Ledit couteau de cuisine semble bien destinĂ© Ă Blum puisque Maurras continue ses appels au meurtre. « Le jour de l’invasion, il restera toujours en France quelques bons couteaux de cuisine et Monsieur Blum en sera le ressortissant numĂ©ro 1. »
Avant de repartir en toupie : »Gide a vu qu’en son cher Blum, l’Ă©crivain, le fonctionnaire, le parlementaire, le militant ne sont presque rien en comparaison du fils de la race tronquĂ©e. Juif d’abord ! C’est en tant que juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. […] Si, par chance, un Etat rĂ©gulier a pu ĂŞtre substituĂ© au dĂ©mocratique couteau de cuisine, il conviendra que M. Blum soit guillotinĂ© dans le rite des parricides : un voile noir tendu sur ses traits de chameau. »
LĂ©on Blum porte plainte. Maurras est condamnĂ© Ă huit mois d’emprisonnement – condamnation annoncĂ©e comme « la Loi du juif » dans « l’Action française » – peine qu’il effectue Ă la prison de la SantĂ© et où… il continue Ă Ă©crire frĂ©nĂ©tiquement pour son journal.
En juin, Léon Blum devient président du conseil.
« L’Action française » titre en une : « La France sous le juif ».
Vaisselle d’or, homosexualitĂ©: Blum, cible des « fake news »
L’arrivĂ©e au pouvoir de Blum provoque un redoublement de l’antisĂ©mitisme Ă©galement dans plusieurs journaux conservateurs d’ordinaire moins virulents. Ainsi nait la lĂ©gende de la « vaisselle d’or » dans laquelle mangerait Leon Blum est relayĂ©e par « l’Echo de Paris ». »Si M. LĂ©on Blum peut s’offrir le luxe de conserver sa vaisselle d’or, je connais pas mal de personnes qui ont dĂ» livrer la leur au creuset pour payer leurs impĂ´ts. OĂą passe l’or ? »
Ou encore tous les fantasmes sur son nom qui ne serait pas Blum mais Karfunkelstein, repris dans « Je suis partout » oĂą Robert Brasillach ironise aussi sur l’Exposition universelle de 1937, oĂą « au pied du pavillon sioniste dĂ©corĂ© du sceau de Salomon, Monsieur Blum vous attend, la moustache et le feutre en bataille. »
Charles Maurras continue dans l’insulte animalière. Blum est dĂ©sormais indiffĂ©remment un « chameau » ou une « sale chamelle ». Ah oui, car bien sĂ»r, « Blum le juif » est aussi un « inverti » pour Maurras. »Nous avons affaire Ă un inverti parfait. Il a, dès ses annĂ©es d’Ă©cole, inverti son sexe Ă l’instar du musical ami de Louis II de Bavière : ne lui laissons pas invertir les principes constitutifs des Etats. »
Les attaques sont telles que Léon Blum se résout à y répondre le 19 novembre 1938 avec cette tribune, émouvante, titrée : « Je suis français. »
« Sous la signature d’un homme que je ne veux pas nommer, la feuille infâme reprend avec une assurance effrontĂ©e une histoire qui courait dĂ©jĂ depuis longtemps dans la basse presse d’Ă©chos et dans les feuilles de chantage. Elle assure que le nom que je porte n’est pas le mien, que je ne suis pas nĂ© en France, mais en Bulgarie.Cette lĂ©gende n’a pas encore pris dans le public la mĂŞme consistance que celle de mes maisons suisses, de mes châteaux français, de mon hĂ´tel parisien, de ma vaisselle plate et de mes laquais en culotte courte. Avec un peu de tĂ©nacitĂ© et de patience, la feuille infâme en viendra sans doute Ă bout !
[…] Je suis nĂ© Ă Paris le 9 avril 1872, français, de parents français. Ma maison natale, 151 rue Saint-Denis, existe encore et chacun peut voir en passant la façade Ă©troite et pauvre. […]Aussi loin qu’il soit possible de remonter dans l’histoire d’une famille plus que modeste, mon ascendance est purement française. Depuis que les juifs français possèdent un Ă©tat civil, mes ancĂŞtres paternels ont portĂ© le nom que je porte aujourd’hui.
Tous ces faits sont aisĂ©s Ă dĂ©montrer […] La feuille infâme a entrepris sa campagne sans se soucier un instant d’Ă©claircir si son accusation Ă©tait vraie […] Tout cela sera colportĂ© par la mĂ©disance ou la haine comme l’histoire de mes châteaux et de mes laquais. Des gens honnĂŞtes et de bonne foi se diront Ă nouveau ‘Tout de mĂŞme, il y a forcĂ©ment quelque chose de vrai. Pas de fumĂ©e sans feu’. Et le mensonge aura pris un beau jour. […] Il en sera ainsi jusqu’au jour oĂą la loi permettra enfin de prendre Ă la gorge la feuille infâme et son pitre obèse […] de les châtier quand ils ont menti ou quand ils ont assassinĂ©. »
On est en novembre 1938, juste après les accords de Munich (30 septembre 1938). Un an après, ce sera la guerre.
LĂ©on Blum est assignĂ© Ă rĂ©sidence, internĂ©, puis transfĂ©rĂ© en 1943comme otage d’Etat au Falkenhof, une dĂ©pendance du camp de Buchenwald pour Ă©ventuellement servir de monnaie d’Ă©change aux Allemands en cas de dĂ©faite. Le prisonnier y vit coupĂ© du monde, en tĂŞte Ă tĂŞte avec Georges Mandel que les Allemands vont livrer Ă la police française pour ĂŞtre assassinĂ© par la milice. Il ne sait pas que l’entreprise d’annihilation des juifs, tant appelĂ©e de ses vĹ“ux par Charles Maurras, est en cours. Ni que son frère RenĂ©, torturĂ©, mourra Ă Auschwitz.