Comment construire concrètement une fonction publique inclusive ? Les membres de l’Association des DRH de grandes collectivités, réunis en ligne autour de cette question le 2 avril, ont sollicité l’éclairage de Jean-François Amadieu, sociologue, professeur et directeur de l’Observatoire des discriminations. Sa réponse a pu perturber : il faut commencer par changer de modèles.
Malgré un encadrement législatif croissant, les discriminations au travail perdurent, y compris dans la fonction publique. C’est ce constat qui a motivé l’Association des DRH de grandes collectivités territoriales (ANDRHGCT) à réunir ses membres en ligne, le 2 avril, pour un colloque intitulé «Construire ensemble une fonction publique inclusive ». Objectif : inciter les DRH à pousser encore davantage leur réflexion et leurs actions en la matière.
Mais le sujet est complexe, si l’on en croit Jean-François Amadieu, sociologue, professeur et directeur de l’Observatoire des discriminations, invité à introduire cette journée.
Celui-ci a en effet semé le trouble chez les DRH participants, en démontant la philosophie qui sous-tend jusqu’à présent nombre de plans d’action : « Il faut abandonner la légende urbaine selon laquelle la diversité (de genre ou sur une base ethno-raciale, notamment) serait un facteur de performance, explique-t-il. Des méta-analyses de tous les articles scientifiques sur le sujet l’ont prouvé et pourtant, un décalage spectaculaire perdure entre ce qui se dit et cette réalité».
Pour lui, ce qui génère créativité et performance des équipes, engagement au travail, attractivité et fidélisation, c’est plutôt l’inclusion, c’est-à-dire une politique favorisant une « diversité en profondeur », celle des expériences des parcours, des cultures, etc.
Respecter le droit et la culture de la France
Pour y parvenir, estime-t-il, les organisations françaises ont tout intérêt à « se détacher des pratiques nord-américaines, que l’on a parfois tendance à vouloir importer ». Il évoque notamment la création, par des employeurs américains, de groupes de salariés de telle orientation sexuelle, de telle ou telle origine ethnique ou raciale, etc. Non seulement ce modèle encourageant les différences s’oppose au principe d’égalité auquel est attachée la France, explique le sociologue, mais il s’avère fragile et commence à être remis en cause par certaines grandes entreprises américaines.
« Il faudrait aussi, assure Jean-François Amadieu, que la fonction publique se garde de reproduire ce qui se fait dans le privé ». En l’occurrence, cite-t-il, tel assureur « qui dit s’opposer à toutes les formes de discrimination, mais dresse une liste de celles qu’il juge intolérables… liste qui ne compte pas la totalité des 25 motifs reconnus dans la loi ».
« Mais comment conduire une politique inclusive, tout en respectant le principe d’égalité et, dans la fonction publique, celui de neutralité », s’interroge Mathilde Icard, DGS du CDG du Nord et présidente de l’ANDRHGCT. Faut-il développer les pratiques de discrimination positive sur la base des plans pour l’égalité femmes-hommes ou pour l’intégration des personnes handicapées ? « Non, répond Jean-François Amadieu, « car dans cette logique, il faudrait instaurer une discrimination positive sur les 25 motifs ».
Ouvrir sa vision de la diversité
Pour lui, il faut « inclure tous les personnels en ouvrant sa définition de la diversité aux 25 critères ». En effet, regrette-t-il, on occulte trop souvent les discriminations liées à l’apparence physique, l’état de santé, le fait syndical, ou encore à l’origine sociale. « Ce dernier sujet est souvent négligé en France, constate-t-il, alors qu’il est par ailleurs ancien et important dans toutes les politiques publiques des collectivités ».
Il se félicite donc de la création des Prépas « Talents » pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique, mais propose aussi de s’inspirer de nouveaux modèles. Comme cet index utilisé en Grande-Bretagne ou encore en Corée, permettant de mesurer l’origine sociale des agents. « Demander ainsi aux candidats s’ils étaient boursiers pendant leur scolarité, ce que faisaient leurs parents, etc, est très inclusif », assure-t-il. Mais pour aboutir à la performance au travail, une telle politique doit se conjuguer avec un « bon management ».