La langue française reste fondamentalement phallocentrique. Pas étonnant que le masculin prédomine aussi socialement.
Interdiction des discriminations en matière d’embauche, de rémunération et de déroulement de carrière, dispositions sur la parité, contrat pour la mixité des emplois: on ne compte plus les mesures adoptées en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Si celles-ci ont permis d’observer certains progrès, des inégalités perdurent.
Un long chemin reste en effet à parcourir. Les propositions qui fleurissent dans les programmes des candidat·e·s à l’élection présidentielle le laissent entendre, les chiffres le démontrent de façon claire. L’observatoire des inégalités estime ainsi qu’en France, les hommes continuent de gagner en moyenne 23,5% de plus que les femmes, et que près de 11% de ces écarts de salaires relèvent tout simplement de « discriminations pures ».
C’est un fait: si l’égalité formelle entre les femmes et les hommes semble acquise, l’égalité réelle reste franchement à atteindre. Qu’est-ce qui peut expliquer qu’en dépit de tous ces efforts, de toutes ces initiatives, tant reste encore à accomplir?
Les sciences humaines nous offrent sans doute une réponse probante: « Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer », déclarait Michel Foucault lors de son entrée au Collège de France. Or, la langue française reste fondamentalement phallocentrique.
Quelques exemples? Masculin générique: « des acteurs du développement durable ». Prévalence du masculin sur le féminin dans les accords en genre: « des femmes et des hommes sont allés ». Hésitations à mobiliser les formes féminines de certains noms de métiers ou de titres: rares sont celles et ceux qui emploient le terme « écrivaine », et ne parlons pas de celui d' »entraineuse » ! Éliane Viennot l’a magistralement rappelé dans son dernier ouvrage: un ensemble de règles promues par des grammairiens masculinistes farouches, est peu à peu parvenu à reléguer le féminin à l’arrière-plan de nos manières de dire.
Ainsi, le masculin prévaut largement dans notre langage. Dès lors, pas étonnant qu’il prédomine aussi nettement socialement. La langue française témoigne et participe de la construction, de l’intériorisation et de la perpétuation d’inégalités et de stéréotypes de sexe.
Pour faire véritablement changer les mentalités, il faut donc agir sur ce par quoi elles se structurent: le langage. C’est donc par un travail sur le discours qu’il faut agir en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette approche a un nom: l’écriture inclusive.
L’écriture inclusive désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité de représentations des deux sexes. Trois conventions simples ont été stabilisées dans un Manuel d’écriture inclusive mis gratuitement à la disposition de chacun et de chacune, et une mise à jour a même été suggérée à l’AFNOR dans le cadre de la réforme du clavier AZERTY actuellement à l’étude. Un nouveau signe de ponctuation est notamment proposé: le point milieu. Ne connaissant aucun usage préalable, ce nouveau signe permettrait d’investir « frontalement » l’enjeu discursif et social de l’égalité entre les femmes et les hommes.
J’entends déjà celles et ceux qui, comme récemment à Science Po, expliqueront qu’on ne peut pas, qu’on ne doit pas, s’affranchir de règles édictées. C’est pourtant un fait: anglicismes en pagaille, néologismes apportés par la révolution numérique (songeons par exemple que 150 mots nouveaux ont fait leur entrée au dictionnaire cette année), réformes régulières de l’orthographe: les institutions chargées de veiller au langage ont d’abord pour rôle d’acter et d’instituer des usages qui, socialement, les précèdent toujours. Fidèle à un adage politique célèbre, l’institution organise en fait ce qu’elle ne peut plus empêcher. Dans le cas présent, ce sera d’autant plus acceptable qu’il s’agit « d’attentions » plutôt que des règles en confrontation avec notre grammaire. Plus d’excuses: il en va de notre responsabilité individuelle pour faire gagner, par nos manières d’écrire, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Par Raphaël Haddad