Qui sommes-nous

La gestion du « fait religieux » ne peut ressortir de la seule responsabilité du DRH. Cette problématique doit mobiliser tous les acteurs de l’entreprise, avec une volonté de dialogue en toile de fond.

Un fait est certain : la diversité est une réalité de plus en plus évidente dans le monde des entreprises, ce qui génère l’expression d’un fait religieux, spirituel ou identitaire : port du foulard, nourriture halal, temps et lieux de prières, rapports hommes-femmes, objections de conscience à certaines prestations, autant d’expressions de ces évolutions qu’il est de plus en plus difficile d’ignorer sur le lieu du travail. Le « fait religieux », lorsqu’il se manifeste en ces termes, devrait alors être géré par tous les acteurs de l’entreprise : direction, management, travailleurs/euses, représentants du personnel et organes paritaires. Mais les acteurs de ces matières dans l’entreprise sont bien souvent écartelés entre des législations contraignantes en matière de non-discrimination d’une part et, d’autre part, la nécessité d’intégrer dans un environnement normé pour faciliter le vivre ensemble. A tout le moins, on les trouve bien démunis dans une société où gouvernements, pouvoirs législatif et judiciaire peinent à donner des repères pourtant nécessaires.

Ignorer cette réalité peut mener à une forme de rigidification des relations et postures : à une idéologie (la religion) est opposée une autre idéologie (une religion ou même la laïcité telle qu’elle est positionnée dans certains débats actuels).

L’actualité anxiogène – attentats, crise migratoire, radicalisme religieux extrémiste, réactions populistes – tend à crisper les positions alors que le besoin est au contraire de tendre vers l’affirmation de principes communs et de valeurs partagées, garantissant le vivre-ensemble, aussi dans l’entreprise.

Des principes fondamentaux

La gestion du « fait religieux » ne se réglera toutefois pas par injonction ni du religieux, ni du droit (même si le droit garantit l’exercice des libertés individuelles, y compris de culte, d’expression, et le respect de la diversité). La gestion de l’entreprise, c’est d’abord une question de dialogue entre tous ses acteurs (direction, management, personnel et représentants syndicaux).

A l’issue de deux récentes journées d’études, l’une à l’Ecole des sciences du travail de l’UCL, l’autre à l’ULg en partenariat avec l’ADP-Liège, entre universitaires issus de différentes disciplines (droit, gestion, sociologie, théologie) et professionnels de la gestion des ressources humaines et de la diversité, certains enseignements doivent être partagés.

1.  Un principe général : le fait religieux et la diversité de culte ne peuvent constituer un tabou. Ils doivent faire l’objet d’une discussion ouverte tant dans les organes de gestion que dans les organes de la concertation sociale, dès que des tensions se manifestent.

2.  En discuter requiert une méthode : d’abord apprendre à connaître les réalités religieuses présentes dans l’entreprise (savoir, c’est permettre de comprendre le fondement des demandes qui s’expriment au nom du « fait religieux »), connaître les formes de l’expression voire de la revendication au sein de l’entreprise, recourir aux experts en la matière, se garder de jouer aux apprentis théologiens…

3.  Définir des règles du vivre ensemble, de manière concertée, basées sur les principes de la non-discrimination, sans privilégier certains membres du personnel. Tout en gardant comme principe celui du meilleur exercice du travail : permettre à des travailleurs de faire ce qu’ils veulent (fumer, travailler, manger ou… prier) durant une pause existante n’est pas équivalent à instaurer une pause additionnelle pour certains, par exemple. L’entreprise doit aussi avoir le courage d’affirmer que certains principes sont donc non-négociables, alors que d’autres questions peuvent faire l’objet d’un accord collectif.

4.  Consulter et se concerter, avec les partenaires sociaux et au-delà, dans l’entreprise pour renforcer l’acceptation et l’appropriation de ces règles, qui peuvent à la fois porter des normes positives ou formuler des interdictions. Evaluer régulièrement ces règles et ces pratiques et, par le dialogue et la concertation, les adapter si besoin, dans le cadre d’une politique de gestion des diversités, dont le religieux n’est qu’un volet parmi d’autres et qui se trouve traité dans les mêmes termes que ces autres aspects de la diversité.

5.  Mettre en œuvre des pratiques RH, en communication, en formation, en gestion des talents qui favorisent cette diversité inclusive en construisant positivement les valeurs communes du vivre-ensemble dans l’entreprise.

6.  Faire respecter ces normes communes pour bannir tout à la fois toute segmentation religieuse de l’entreprise mais aussi toutes formes d’exclusions telles l’islamophobie, l’occidentalophobie, la xénophobie ou le racisme.

7.  Etre imaginatif quant à la mise en place de formes de vivre-ensemble acceptables par tous dans un projet commun d’entreprise et sans remise en cause de ce projet. Le règlement de travail rédigé dans le respect de la liberté de religion permet déjà beaucoup aux responsables des entreprises, les codes d’éthique et de déontologie sont des opportunités complémentaires.

8.  Faire preuve de bon sens et partir du principe que l’on peut avoir confiance dans ce dialogue raisonné (la responsabilité du management) et raisonnable (la responsabilité de tous) dans le respect du droit.

Dans ce contexte, il est concevable d’imaginer une décrispation sans angélisme sur les sujets délicats comme le port des signes religieux et la manifestation de certains comportements, tout en (ré)affirmant la responsabilité qui est celle de tous (et, d’abord, du management), dans la régulation de ces enjeux, dans l’entreprise. Et, pourquoi pas, produire un modèle de vivre-ensemble évolutif, construit ensemble qui puisse inspirer d’autres institutions et responsables au-delà de l’entreprise ?

 

Source: http://www.lesoir.be/1186936/article/debats/cartes-blanches/2016-04-20/comment-gerer-fait-religieux-en-entreprise