Source : https://www.usinenouvelle.com/blogs/le-blog-des-experts-des-neurosciences/discriminations-et-diversite-au-travail-ce-qui-ne-fonctionne-pas-dans-les-campagnes-de-formations.N1073739

Les comportements discriminatoires dans le milieu professionnel sont de plus en plus médiatisés et ont fait l’objet de diverses campagnes de sensibilisation, dont certaines à un niveau national comme celle diffusée en 2016 par le ministère du Travail (#lescompétencesd’abord), ou encore la charte de la diversité en entreprise. Cette dernière, créée en 2004 et signée depuis par plus de 4000 entreprises françaises, a directement poussé les organisations à agir pour promouvoir la diversité en leur sein. D’ailleurs, 2 salarié·e·s sur 3 estiment que leur entreprise a une “politique diversité”, selon le baromètre CEGOS 2019 [1].

Pourtant, les choses changent (trop) lentement, au détriment des personnes qui sont victimes de discriminations ou de comportements excluants (lire notre article Discriminations et diversité au travail : quelles sont les conséquences cognitives ?). Mais alors, qu’est ce qui ne fonctionne pas dans les campagnes de diversité mises en place actuellement dans les organisations ? Les recherches en sciences comportementales semblent apporter certaines réponses.

Des formations trop ponctuelles

Tout d’abord, il existe un consensus dans la littérature scientifique montrant que les formations faisant partie d’un programme étendu sur la diversité (sur plusieurs jours) apportent de meilleurs résultats et emportent plus l’adhésion des salarié·e·s que des formations ponctuelles (sur une journée ou une demi-journée), ces dernières étant pourtant plus répandues dans les organisations [2].

Cet effet peut être expliqué par le fait qu’une formation inscrite dans un programme large, avec de multiples initiatives et qui a pour objectif un changement global de la culture de l’organisation, améliore sa perception et favorise l’engagement des salarié·e·s. Une autre explication possible est que les formations ponctuelles sont trop courtes, et se concentrent donc généralement sur les questions juridiques ou les sujets culturels larges [2]. Elles apportent donc peu de connaissances et d’actions pratiques sur lesquelles les apprenant·e·s peuvent s’appuyer pour développer des comportements plus inclusifs et réduire leurs stéréotypes. À l’inverse, les formations s’inscrivant dans des programmes longs permettent de créer une communauté d’apprenant·e·s, des échanges entre pairs, et une meilleure prise de perspective sur ses propres comportements, en particulier quand différents groupes sociaux y sont mélangés.

Un apprentissage trop passif

Ensuite, la pédagogie utilisée en général dans les formations pour la diversité n’est pas adaptée pour favoriser un changement de pratique. En effet, la plupart des formations reposent encore souvent sur un apprentissage passif (visionnage de vidéo, lecture d’articles ou de livres, ou conférences), alors que les formations reposant sur un apprentissage actif, par le biais de mises en situation et d’exercices, sont plus efficaces et leurs bienfaits perdurent plus longtemps [3](lire aussi notre article : Entreprise apprenante : comment permettre à notre cerveau de mieux apprendre ?).

En effet, les études en sciences cognitives montrent que des stratégies d’apprentissage actives amplifient et solidifient les réseaux de neurones permettant un rappel des connaissances ou des comportements appris plus tard, contrairement à un apprentissage passif. Pour bien apprendre, il faudrait donc pouvoir interpréter, connecter, mettre en relation et élaborer les informations, et pas seulement les écouter ou les voir [4]. Les formations à la diversité, pour qu’elles mènent aux résultats escomptés, doivent donc être construites selon les principes efficaces de pédagogie, notamment vu la gravité du sujet.

L’effet ironique de suppression

De plus, certains exercices ou certains apports proposés lors de formations à la diversité peuvent amener à des effets opposés à ceux recherchés. Par exemple, plusieurs études montrent qu’essayer de taire ses stéréotypes les ferait au contraire s’exprimer et mènerait à des comportements discriminatoires. Cet effet est appelé « l’effet ironique de suppression ». L’effet ironique de suppression a par exemple été mis en évidence dans une expérience menée par une équipe de chercheur·se·s américaine [5]. Les participant·e·s commençaient par remplir un questionnaire dans lequel ils devaient exprimer leur accord avec des phrases exprimant ou non des stéréotypes sur la communauté noire-américaine. Certain·e·s participant·e·s ont reçu la consigne d’essayer de taire leurs stéréotypes sur cette communauté, les autres non. Les participant·e·s devaient ensuite lire une histoire et donner leur impression à propos du héros, un homme dont l’origine n’était pas précisée. Les résultats de l’étude ont montré que les participant·e·s ayant essayé de taire leurs stéréotypes durant la première phase de l’expérience ont jugé le héros de l’histoire de façon plus hostile, en lui prêtant davantage de traits en adéquation avec les stéréotypes négatifs sur les hommes appartenant à la communauté noire-américaine.

Cet effet a été théorisé par Wegner en 1994, qui explique que la réapparition des pensées que l’on essaye de supprimer proviendrait de deux mécanismes cognitifs distincts [6]. Un premier mécanisme tente de détecter automatiquement les pensées que l’on essaye de supprimer, mais il doit les maintenir accessibles à la conscience pour pouvoir les identifier, les réactivant sans cesse en mémoire. Un deuxième mécanisme remplace les pensées supprimées par d’autres pensées, ce qui ne peut pas fonctionner si l’on ne crée pas spécifiquement une nouvelle pensée “de rechange”. Le fonctionnement de ce deuxième mécanisme serait d’ailleurs l’explication privilégiée de l’apparition de l’effet ironique de suppression après une formation à la diversité. En effet, on demande en général aux apprenant·e·s de bloquer leurs stéréotypes sur un groupe social en particulier, mais sans toujours prendre le temps de remplacer les stéréotypes supprimés par d’autres idées, plus justes et plus bienveillantes [7].

Volontariat ou obligation ?

Enfin, la liberté ou non de participation à une formation sur la diversité semble également être une problématique importante pour la réussite de la formation. D’après une méta-analyse en 2016 [2], les formations obligatoires pour tou·te·s les salarié·e·s sont celles qui obtiennent les meilleurs résultats. Selon les chercheur·se·s, devoir participer à une formation obligatoire montre l’implication de l’équipe dirigeante dans les problèmes de diversité et de discriminations, ce qui améliore l’engagement des participant·e·s. 

Cependant, la méta-analyse a révélé que les formations suivies sur la base du volontariat sont en moyenne perçues plus favorablement par les salarié·e·s. Les raisons de ce constat sont toutefois nuancées par le fait que ce sont les personnes ayant déjà des compétences sur la diversité, par intérêt ou apprentissage, qui y participent. Elles ont donc une sensibilité particulière à ces questions et y sont particulièrement réceptives. Les autres salarié·e·s, qui peuvent se sentir moins concerné·e·s, sont celles·eux qui sont pourtant les plus susceptibles d’avoir des stéréotypes envers les minorités. En effet, il peut être difficile d’évaluer ses propres stéréotypes car ils ne sont pas toujours conscients, et ne pas y être confronté·e directement n’aide pas à les rendre plus accessibles.


Un grand nombre de paramètres semblent jouer en défaveur des formations à la diversité mises en place dans les organisations, que ce soit au niveau de la pédagogie utilisée, des exercices proposés ou du contexte général. Il est donc crucial de repenser ces dispositifs, par exemple en se basant sur la recherche en sciences cognitives et comportementales, pour amener plus de diversité au travail, mais également réduire les discriminations et leurs préjudices.

À suivre…

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[1] CEGOS, “État des lieux des discriminations et des politiques Diversité au travail,” 2019.

[2] K. Bezrukova, C. S. Spell, J. L. Perry, and K. A. Jehn, “A meta-analytical integration of over 40 years of research on diversity training evaluation,” Psychol Bull, vol. 142, no. 11, pp. 1227–1274, Nov. 2016.

[3] Z. T. Kalinoski, D. Steele?Johnson, E. J. Peyton, K. A. Leas, J. Steinke, and N. A. Bowling, “A meta-analytic evaluation of diversity training outcomes,” Journal of Organizational Behavior, vol. 34, no. 8, pp. 1076–1104, 2013.

[4] R. Bjork, J. Dunlosky, and N. Kornell, “Self-regulated learning: beliefs, techniques, and illusions.,” Annual review of psychology, 2013.

[5] N. A. Wyer, J. W. Sherman, and S. J. Stroessner, “The Spontaneous Suppression of Racial Stereotypes,” Social Cognition, vol. 16, no. 3, pp. 340–352, Sep. 1998.

[6] D. M. Wegner, “Ironic processes of mental control,” Psychological Review, vol. 101, no. 1, pp. 34–52, 1994.

[7] A. D. Galinsky and G. B. Moskowitz, “Further ironies of suppression: Stereotype and counterstereotype accessibility,” Journal of Experimental Social Psychology, vol. 43, no. 5, pp. 833–841, Sep. 2007.