Selon un décompte effectué par France 24, 32 députés issus de la diversité (hors élus de l’Outre-mer) vont siéger à l’Assemblée nationale dans la nouvelle mandature. Un léger recul par rapport à 2017 où leur présence avait triplé. Analyse.
Après le grand bond en avant, la légère régression. Tout comme en matière de parité, le nombre de députés issus de la diversité recule légèrement par rapport à la mandature de 2017. D’après le décompte effectué par France 24, au moins 32 des 550 députés, hors Outre-mer, soit 5,8 % de la Chambre élue les 12 et 19 juin, en sont issus, contre 35 il y a cinq ans.
La collecte de données démographiques fondées sur l’origine ethnique étant interdite en France, les statistiques officielles sont inexistantes. Pour cet article, France 24 a donc effectué son propre recensement : comme il y a cinq ans, nous avons identifié les élus dont au moins un des parents est issu de l’immigration non européenne ou originaire des Outre-mer. Pour ces derniers, nous n’avons retenu dans cet article que ceux élus en métropole. Ainsi, si Maud Petit, députée MoDem de la circonscription du Val-de-Marne, et originaire de la Martinique, figure dans notre décompte, nous en avons exclu tous les élus représentant l’Outre-mer. Et, dans la même logique qui avait présidé il y a cinq ans, nous n’avons pas retenu les candidats issus d’une famille de pieds-noirs ou eux-mêmes pieds-noirs.
« Cette stagnation cache un progrès », se réjouit Patrick Lozès, président et fondateur du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), qui suit le sujet de la représentation de la diversité dans le personnel politique depuis des années. « En 2017, il s’agissait d’un effet d’aubaine : La République en marche ne s’attendait pas à avoir autant d’élus et les investitures avaient été distribuées dans la précipitation. Il y a d’ailleurs une énorme baisse dans les rangs de leurs députés cette année. Les choses semblent se stabiliser. »
Patrick Lozès, lui-même candidat UDF à la députation à Paris en 2002, mesure le chemin parcouru ces vingt dernières années. Il était alors une des rares personnes issues de la diversité investies par un grand parti.
« Depuis cette époque, les choses ont totalement évolué », note le président du Cran, qui regrette l’interdiction des statistiques ethniques en France. « Elles ne serviraient pas à flageller la France comme certains voudraient le dire. Au contraire, elles permettraient de mesurer les progrès en la matière. On aurait pu quantifier les progrès de 2017 par rapport à 2012 : les élus issus de la diversité avaient triplé ! L’Assemblée nationale se rapproche petit à petit de la France qu’on croise dans la rue. »
Selon la dernière enquête de l’Insee sur le sujet en 2015, 11 % de la population en France a au moins un parent immigré.
De nombreux élus La France insoumise et Renaissance
Si on regarde les résultats parti par parti, c’est La France insoumise (LFI) qui envoie le plus gros contingent de députés issus de la diversité (en pourcentage) : 14,6 % de ses élus, hors Outre-mer, remplissent nos critères.
Plusieurs figures historiques de LFI en font partie et ont été élues en région parisienne. Danièle Obono, la Franco-Gabonaise déjà élue en 2017, est rejointe par, entre autres, Sophia Chikirou, éternelle directrice de la communication de Jean-Luc Mélenchon, d’ascendance algérienne, Nadège Abomangoli, née au Congo-Brazzaville, ou encore la très médiatique Rachel Keke. Née en Côte d’Ivoire, cette dernière y a vécu jusqu’au coup d’État de 1999 avant de se faire connaître en France en menant le combat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles, à Paris, entre 2019 et 2021. Raquel Garrido, pilier du mouvement insoumis, est également élue députée. Une consécration pour cette exilée chilienne dont les parents ont fui la dictature dans les années 1970, tout comme la famille de son désormais collègue de l’Assemblée Rodrigo Arenas.
« Certains partis font beaucoup plus attention à la question de la diversité, à commencer par LFI. Le mouvement s’est beaucoup intéressé aux quartiers populaires et s’est fait le porteur de leurs revendications », souligne Sébastien Michon, sociologue au CNRS et spécialiste de la sociologie des personnels politiques.
Du côté du parti présidentiel, c’est le mouvement inverse. Après avoir envoyé à l’Assemblée 23 députés issus de la diversité il y a cinq ans, La République en marche, devenue Renaissance, n’en a plus que onze. Certaines figures de la précédente mandature, telles que Mounir Mahjoubi, ne se sont pas représentées ou ont été battues, à l’instar de Laetitia Avia dans la huitième circonscription de Paris.
La droite, cancre de la diversité
Rien de nouveau en revanche du côté de la droite. Le bonnet d’âne revient encore incontestablement au parti Les Républicains (LR) et au Rassemblement national (RN). Malgré quelques candidats issus de la diversité présentés, aucun de leurs députés (62 pour LR, 89 pour le RN) ne remplissent nos critères. Dans le cas du RN, le constat est cependant peu surprenant, l’un des piliers de son programme étant le contrôle de l’immigration.
Entre ces bons et ces mauvais élèves, il y a le cortège des « peut mieux faire » : Parti socialiste (PS), Europe Écologie-Les Verts (EELV), Mouvement démocrate (MoDem), Parti communiste (PCF) et Union des démocrates et indépendants (UDI). Ainsi, Soumya Bourouaha, une des rares néodéputés communistes, permet au PCF d’éviter de réitérer le zéro pointé de 2017. De son côté, l’UDI compte une seule personne issue de la diversité, le sortant Meyer Habib, sur ses cinq élus au total (contre 18 députés précédemment).
Le risque d’ethnicisation des candidatures
Le mouvement insoumis et ses alliés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) n’ont cependant pas été épargnés par les critiques lors des investitures. La présentation, en photo, des douze candidats investis par la gauche en Seine-Saint-Denis a crispé. « Quand j’ai vu les têtes de liste de l’extrême gauche (sic) en Seine-Saint-Denis, j’ai cru qu’on était dans les Vosges ! », a ainsi taclé l’humoriste Yassine Belattar. Une manière, pour ce proche d’Emmanuel Macron, de moquer la blancheur des candidats dans ce département où cohabitent pourtant près de 100 nationalités différentes.
« La polémique s’est développée car le choix a été fait de placer un cadre plutôt que des militants locaux dans des circonscriptions ultrafavorables à la Nupes, analyse Sébastien Michon. Cela tient à la structuration même des partis : des cadres qui font une carrière politique revendiquent des places où ils pourront être élus. Or, parmi ces cadres, il y a une certaine homogénéité : beaucoup d’hommes blancs issus des catégories supérieures. Il y a une friction entre une logique partisane et une adéquation avec la marque politique. »
L’association Tous élus, qui s’est donné pour mission de faire émerger des profils représentatifs de la société française et de lutter contre l’abstention, s’était également fendue d’une tribune dans Le Monde pour mettre en garde la coalition de gauche.
« Notre tribune ne voulait pas taper seulement sur la Nupes. Là, on évoquait la gauche car ce sont des partis qui portent des valeurs en termes de diversité, de méritocratie, d’écologie et, en tant qu’association apartisane, il nous paraissait important de souligner ce décalage. Cependant, Ensemble!, LR et le Rassemblement national ne sont pas en reste dans ce manque de représentativité », précise Audrey Fortassin, directrice générale de l’association.
« Les citoyens, aujourd’hui, pensent que c’est important d’avoir une diversité au sein de leurs représentants pour défendre leur voix. Cependant, pour les personnes que l’on a formées, un constat cruel a été fait : pour les novices, il est difficile de décrocher une investiture dans les partis », souligne Audrey Fortassin. « Il y a une volonté de faire du marketing politique en mettant en avant une Rachel Keke – ou un François Ruffin il y a cinq ans. Cependant, il faut voir que, sans la préexistence médiatique, il est très difficile d’être élu. »
Patrick Lozès partage ce constat mais l’étend à l’ensemble des partis. Dans chaque mouvement politique, « des investitures de candidats issus de la diversité sont retirées par le fait du prince en commission d’investiture, des sortants écœurés ne veulent plus se présenter. D’autres investis sont envoyés au casse-pipe dans des circonscriptions ingagnables. Beaucoup sont également relégués au rôle de suppléant », déplore-t-il.
Le président du Cran met aussi en garde contre un danger. « Il y a également un risque d’ethnicisation du député issu de la diversité, qui ne serait capable d’être élu que dans des ‘poches de diversité’ comme la Seine-Saint-Denis ou les circonscriptions des Français de l’étranger », avertit-il. « Il faut que les partis passent le cap de présenter des candidats de la diversité partout. Les électeurs votent avant tout pour le parti. »
Cependant, Patrick Lozès fait preuve d’optimisme. Alors que le Cran s’apprête à livrer dans les prochains jours ses propres décomptes et conclusions en matière de diversité au sein de la nouvelle Assemblée nationale, il note qu’ »au-delà des élus, il faut saluer le nombre inédit de candidats investis pour ces élections ».
Reste une étape cruciale, selon lui, pour améliorer la situation. « Dans l’idéal, il faudrait que des personnes issues de la diversité soient incluses dans les commissions d’investiture des partis. C’est là, dans ces lieux opaques où les décisions sont prises sans transparence, que tout se joue. »