D’où vient l’idée de l’existence d’un gène gay ?
04/09/2019 Par Pierre Ropert
Une étude scientifique publiée dans la revue « Science » a définitivement mis à mal l’idée de l’existence d’un « gène gay », susceptible de déterminer l’orientation sexuelle. Une idée qui faisait débat depuis le début des années 1990.
Cette idée est définitivement enterrée : il n’y a pas de « gène gay » responsable de l’orientation sexuelle, selon une étude publiée dans la revue Science vendredi 30 août. L’étude a été menée sur un demi-million de profils ADN par un groupe de chercheurs en provenance d’Europe et des Etats-Unis. Selon Benjamin Neale, membre du Broad Institute d’Harvard, du MIT et co-signataire de la publication, « il est de facto impossible de prédire l’orientation sexuelle d’une personne d’après son génome ». Si l’orientation sexuelle a bien une origine génétique, elle n’est pas le fait d’un seul gène, mais « de nombreux effets génétiques répartis dans le génome« .
Ainsi, les personnes ayant des partenaires du même sexe sont en effet plus susceptibles d’avoir certains marqueurs ADN en commun. Il ne s’agit cependant pas d’un seul gêne, mais de centaines de milliers de gènes, chacun d’entre eux étant susceptible d’avoir de petits effets influençant le comportement sexuel. Impossible donc, de les utiliser pour prédire l’orientation sexuelle d’une personne. D’autant que selon les chercheurs l’orientation sexuelle d’une personne est aussi et surtout influencée par son environnement, de l’exposition à des hormones dans l’utérus d’une mère à toutes les interactions sociales vécues au cours d’une vie.
Dès 1990, la recherche de prédispositions génétiques à l’homosexualité
Dès 1991, le neurobiologiste Simon LeVay s’était attaché à démontrer l’existence d’une influence génétique sur l’homosexualité. Dans une étude parue, déjà, dans la revue « Science », il avait mis en évidence une particularité anatomique des homosexuels : après avoir disséqué le cerveau de 41 cadavres, il avait constaté que la structure de l’hypothalamus était en moyenne plus grande chez les hétéros que chez les gays.
« Je ne suis pas seulement un scientifique, je suis aussi un homosexuel qui aspire à vivre dans une société où les gays soient entièrement acceptés. Or ce n’est pas entièrement le cas aux Etats-Unis« , confiait-il ainsi au Nouvel Observateur en novembre 1994.
Mes travaux, comme l’ensemble des données scientifiques, suggèrent qu’une forte influence génétique s’exerce sur les préférences sexuelles. Cette recherche a de fortes implications sociales, parce que l’homosexualité sera mieux acceptée si l’on reconnaît qu’il s’agit d’une différence intrinsèque reposant sur des bases biologiques. Il ne suffit pas d’affirmer le droit de chaque individu à vivre selon ses choix personnels, quand 70 % des Américains désapprouvent les relations homosexuelles. Je crois que la biologie peut contribuer à rendre la société plus tolérante, même si en fin de compte le problème dépasse le cadre de la science. Simon LeVay
L’étude provoque de fortes réactions : elles sont plutôt positives dans la communauté gay aux Etats-Unis, mais la publication est en revanche fortement remise en cause par les milieux conservateurs, qui y voient un danger pour les valeurs traditionnelles. Des arguments sont assez rapidement opposés à la publication. Si l’expérience a été rigoureusement réalisée, elle l’est cependant sur un trop faible échantillon pour qu’il soit représentatif, et surtout elle s’appuie en grande partie sur des corps d’homosexuels victimes du SIDA, une maladie qui peut avoir des effets importants sur la structure du cerveau. Enfin elle ne répond pas à la question principale : cette hypotrophie de l’hypothalamus est-elle la cause ou bien la conséquence de l’orientation sexuelle ?
Par la suite, Simon LeVay confirmera par ailleurs que son travail ne démontrait en rien une prédisposition génétique à l’homosexualité, et que d’autres études étaient certainement nécessaires.
L’invention du « gène gay »
En parallèle de l’étude de Simon LeVay, une publication signée Michael Bailey, de la Northwestern University, constaste que chez les vrais jumeaux, lorsqu’un l’un est homosexuel, l’autre l’est également dans 52 % des cas, ce qui permet d’envisager une piste génétique.
Deux ans après la publication de l’étude de Simon LeVay, une nouvelle étude signée du Dr Dean Hammer, de l’Institut national du cancer à Washington, s’appuie cette fois sur l’étude de paires de frères homosexuels pour arguer de l’existence d’un « gène de l’homosexualité » ou « gène gay ». D’après les résultats de leurs recherches, l’équipe du Dr Hammer était parvenue à identifier la localisation possible de gènes ayant une influence sur l’orientation sexuelle humaine : il s’agissait de cinq marqueurs génétiques situés dans la bande Xq 28 du chromosome X. De plus, ce chromosome X étant, chez les hommes, hérité de la mère, l’homosexualité masculine proviendrait a priori du côté maternel.
Sur les 40 paires de frères étudiées, 33 ont ainsi hérité de leur mère une même région Xq 28. Les allèles étudiés étaient donc identiques dans 82 % des cas, contre 50 % attendus.
Si l’étude est extrêmement rigoureuse et avec des procédés précis, elle ne permet pas, cependant d’identifier un prétendu « gène de l’homosexualité ». Si une autre étude, initiée par le même groupe de recherche en 1995, confirme les résultats, elle n’est pas indépendante de la première et ne peut donc pas en confirmer le résultat. En 1999, une étude réalisée par une équipe canadienne, portant sur un échantillon plus large, conclut quant à elle qu’il n’existe pas de lien entre l’homosexualité masculine et la région Xq 28.
Les origines de l’homosexualité : l’inné versus l’acquis ?
L’étude signée par le Dr Hammer n’en a pas moins créé une véritable polémique, aux Etats-Unis comme en France. La presse se fait d’ailleurs largement l’écho de ces théories. En 1993, le journal Le Point titre ainsi « Naît-on homosexuel ? », titre repris un an plus tard mot pour mot par Le Nouvel Observateur : les deux médias y exposent la théorie du Dr Hammer.
Lors de la sortie de la seconde étude de son équipe, en 1995, les journaux se veulent un peu plus prudents, mais ils ont déjà largement parlé de l’hypothèse de ce fameux « gène gay ». Et déclenche ainsi des réactions contradictoires d’un côté à l’autre de l’océan. Aux Etats-Unis, la communauté homosexuelle se réjouit d’un tel argument de poids : si la génétique justifie l’homosexualité, il ne s’agit plus, alors, d’un choix « déviant ». En France, à l’inverse, l’idée de prédestination sexuelle inquiète et évoque immanquablement l’idée de l’eugénisme, alors même qu’en 1993, l’homosexualité était encore classée par l’Organisation mondiale de la santé à « Troubles mentaux – troubles névrotiques de la personnalité ».
Dans un article publié dans Le Point en novembre 1995, intitulé « La Génétique contre les psys », l’ancien ministre et philosophe Luc Ferry produit ainsi un long argumentaire en utilisant les découvertes du Dr Hammer. Il y oppose, en parallèle des questions d’acquis et d’inné, sciences sociales et sciences dures. Et développe ainsi l’idée que les sciences humaines voient d’un mauvais œil l’arrivée de la génétique sur la question de l’homosexualité :
L’hypothèse que l’homosexualité tiendrait plus à la « nature » qu’à l’éducation, à l’inné, semble ainsi se confirmer. […] La génétique contemporaine se heurte encore à d’autres tabous, issus de sa concurrence objective avec les sciences humaines. Reposant sur l’idée de ce que l’histoire individuelle (psychanalyse) ou sociale (sociologie) déterminerait nos comportements, ces disciplines, qui ont suscité tous les espoirs dans les années 1960, voient d’un fort mauvais œil l’idée qu’on pourrait diminuer la part de l’acquis au profit de l’inné. C’est un peu comme si on venait leur ôter le pain de la bouche, les priver de ce fameux « terrain » sur lequel elles prospèrent, tant bien que mal, depuis trente ans.
Si l’ancien ministre prend à l’occasion des pincettes, il se félicite néanmoins des « fantastiques progrès de la génétique » mettant à mal « la plupart des idées traditionnelles de gauche, celles qui militaient de façon inconditionnelle en faveur du poids de l’acquis« .
Pourtant, en France, dès le 31 mai 1995, le Comité consultatif national d’éthique avait regretté les approximations identifiées dans la presse à propos du prétendu « gène de l’homosexualité », avant de souligner que le Dr Hammer et son équipe eux-même « insistent sur le fait qu’aucun gène n’a été identifié dans ce travail » et qu' »ils ne prétendent pas que la génétique puisse à elle seule expliquer la sexualité des êtres humains » :
Plusieurs organes de presse ont annoncé en juillet 1993 qu’un chercheur américain venait de découvrir « le gène de l’homosexualité ». Sous ce titre à sensation, le contenu effectif de l’information faisait apparaître que le chercheur en question a beaucoup plus modestement relevé chez quelques dizaines d’homosexuels une modification de structure identique dans une région du chromosome X. Or il y a un abîme entre les deux énoncés, puisque cette observation limitée et non confirmée n’est encore en rien l’identification d’un gène et que l’on ignore tout de la manière dont ce gène hypothétique « s’exprimerait » dans un ensemble d’affects et de conduites aussi complexes et socialisées que l’homosexualité.
Reste qu’après ces prises de position, l’idée du « gène gay » disparaît peu à peu du paysage scientifique et se contente de quelques résurgences occasionnelles dans les médias. La chercheuse indépendante Odile Fillod, spécialiste des questions de genre, rappelle par ailleurs qu’une autre étude, initiée par le chercheur Alan Sanders en 2003, portant sur 2 300 hommes « d’origine européenne », n’a trouvé « d’association statistiquement significative avec aucun locus génétique ».
Près de 30 ans plus tard, la plus grande étude ADN jamais réalisée, portant sur un échantillon de 500.000 personnes, semble avoir définitivement infirmé l’idée de l’existence d’un gène gay. Sans toutefois complètement exclure la dimension génétique de l’homosexualité : à en croire les chercheurs, la génétique pourrait ainsi expliquer entre 8 % et 25 % des comportements non-hétérosexuels de la population testée (ce qui ne signifie pas que l’orientation sexuelle est déterminée à près de 25 % par les gènes). Pierre Ropert
Source : https://www.franceculture.fr/sciences/dou-vient-lidee-de-lexistence-dun-gene-gay