18 personnes partent faire le tour du mythique lac sibérien : une entreprise hors du commun pour ces aventuriers, dont la moitié sont en situation de handicap visuel ou auditif.
C’est une aventure hors norme pour des personnes hors du commun: un groupe de 18 personnes, dont la moitié sont handicapées, part du 24 février au 7 mars affronter le grand froid sibérien lors du Défi Baïkal. Ce défi, c’est une grande randonnée, à ski, en raquettes et à pied sur le lac russe éponyme.
Le voyage est organisé par Vue d’Ensemble, une association composée de jeunes déficients visuels, avec l’aide de deux autres associations, Yvoir et Les Montagnes du silence. Vont s’envoler dans quelques jours pour la Sibérie quatre «responsables médias» et sept binômes mélangeant sportifs aguerris et novices, malvoyants et malentendants, jeunes et vieux, handicapés et non-handicapés.
Ce voyage, qui est déjà un challenge en soi pour une personne possédant tous ses sens, revêt une signification particulière pour ces aventuriers en situation de handicap. Parmi eux, Nadia Bouhamidi, une éducatrice spécialisée de 35 ans, souffre d’une rétinite pigmentaire, une maladie qui lui fait perdre progressivement la vue. Elle a rencontré il y a un an via une page Facebook de personnes atteintes de ce problème Alice Lapujade, 25 ans, qui vient de finir ses études: la jeune fille souffre du syndrome d’Usher, une maladie génétique proche de ce qu’a son aînée, qui la prive peu à peu de sa vue et de son audition. Ensemble, elles finalisent leurs préparatifs pour le voyage.
Une aventure humaine
Les deux jeunes femmes ne sont pas spécialement des grandes sportives. «J’ai toujours été très nulle en sport à l’école, car ma vue commençait à se réduire et les activités sportives à l’école étaient très mal adaptées pour une personne handicapée» explique Nadia au Figaro. Si elles participent au Défi Baïkal et s’apprêtent à affronter les températures glaciales de la Sibérie (il peut faire jusqu’à -30°C à cette période de l’année), c’est donc moins pour le sport que pour vivre une «expérience humaine ensemble». Alors que l’isolement des personnes handicapées reste problématique en France aujourd’hui, c’est pour elle l’occasion de rencontrer d’autres personnes, avec des handicaps différents ou à des stades plus évolués que le leur: «il y a une forme de transition» racontent les deux femmes, quand de grands aveugles donnent des conseils aux «petits jeunes novices du handicap».
Mais pas d’assistance infantilisante ici: «Ce ne sont pas des gens sans handicap qui nous emmènent en vacances» défend Nadia, mais un véritable échange convivial entre des parcours différents face aux maladies. Quand, lors des entraînements, un homme atteint de cécité doit avancer en binôme avec une femme sourde, la communication est cocasse mais «ça se fait». On rit beaucoup, d’ailleurs, à Vue d’Ensemble: on plaisante sur le froid russe, chacun se moque de ses propres déboires, on s’appelle «les bigleux». Bref, «on n’est pas du tout dans le pathos» confie Gérard Muller, un aveugle strasbourgeois qui a déjà voyagé de Paris à Pékin en tandem et qui est aujourd’hui l’un des piliers du projet.
Renverser le stigmate du handicap
Au cours des dernières années, avancées technologiques et législatives ont amélioré la vie des personnes handicapées. Mais la situation reste difficile pour cette part de la population largement victime d’exclusion: 21% d’entre eux sont au chômage en 2015 ; ce taux dépasse les 50% en ce qui concerne les aveugles et les malvoyants. «Même si les employeurs ont vraiment une volonté d’intégrer des personnes handicapées, cela coince souvent au niveau des équipes quand on leur annonce qu’un boulet arrive, car c’est vraiment comme ça qu’on est perçu» explique Gérard Muller. Mais surtout, continue-t-il, le problème vient aussi du manque de confiance en soi des personnes handicapées elles-mêmes qui se perçoivent comme des «boulets».
À mesure qu’elles perdent leurs capacités sensorielles, beaucoup de personnes handicapées «arrêtent», racontent Alice et Nadia: elles ne travaillent plus et abandonnent l’idée de sortir de chez elles. «La médecine du travail a été à deux doigts de me déclarer inapte» témoigne Nadia, alors qu’avec ses collègues, elle a parfaitement réussi à adapter sa vie professionnelle à sa vue.
Alors ce Défi Baïkal, c’est aussi une occasion de briser les préjugés autour des handicapés, qui sont finalement tout aussi capables de mener des projets ambitieux que le reste de la population. Si des personnes voyantes restent nécessaires pour les guider, les jeunes malvoyants de l’association Vue d’Ensemble ont organisé l’essentiel du périple. «Finalement ce sont handicapés qui sont les aidants ici» conclut Gérard Muller. Et pour sensibiliser le reste de la société aux capacités des personnes en situation de handicap, un documentaire sur le voyage doit être réalisé par le reporter Olivier Weber, et sera projeté dans des festivals à leur retour (une collecte de fonds est d’ailleurs organisée pour financer le tournage et la diffusion du documentaire).
Il y a quelque chose de presque mystique dans ce défi. «On est beaucoup dans le groupe à avoir des handicaps évolutifs, qui vont se dégrader. Ce n’est pas par hasard si on se retrouve en fait: c’est une quête» raconte Nadia. L’aventure au lac Baïkal, finalement, c’est une manière de prouver, au monde et à eux-mêmes, que les maladies ne les ont pas vaincus.