Un amendement de la loi Travail autorise les entreprises à inscrire dans leur règlement intérieur un principe de neutralité qui pourtant ne fixe aucun cadre à l’exercice de la laïcité dans leurs murs.

Ultra sensibles, les revendications de salariés désireux d’accéder à une salle de prière, aménager leurs horaires de travail ou porter des signes religieux sont jusqu’ici traitées sans trop d’accroc par les entreprises concernées. DRH et dirigeants parmi lesquels le pdg de Veolia, Antoine Frérot, arbitrent avec pragmatisme au « cas par cas ». Mais les débats actuels, délétères, autour du port du burkini et du voile dans l’espace public, risquent de crisper le dialogue dans le secteur privé. A ce titre l’amendement voté en juin dans le cadre de la loi travail, paraissait judicieux. Procurer une sécurité juridique aux entreprises qui désirent une neutralité sur le lieu de travail, répondait à un vide législatif.

Depuis le texte de 1905, l’Etat ne reconnaît aucune religion mais pour autant la loi n’indique pas comment exercer la laïcité en entreprise. Si ce n’est que la formulation de l’amendement est profondément ambiguë : celui-ci autorise l’employeur à restreindre la manifestation des convictions dès lors que « ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». Une définition qui égare y compris les experts de la norme : « J’ignore ce qu’il faut comprendre. Quelles libertés pourraient primer sur celle de manifester ses convictions politiques, philosophiques ou religieuses  ? », s’interroge Patrick Thiébart, avocat en droit du travail au sein du cabinet Jeantet. « D’éventuelles tensions sur le lieu de travail ne justifient en aucun cas une restriction à la liberté d’expression», poursuit l’expert, soulignant la contradiction patente avec le préambule de la Constitution de 1946 et avec la Convention européenne des droits de l’homme. En France, tout salarié dispose de la liberté de se vêtir comme il le souhaite, de porter une croix, une étoile de David ou une main de Fatima : « La cour de cassation a elle même reconnu que le port du foulard ne constituait pas un acte de prosélytisme. La liberté religieuse est, dans notre Constitution, une liberté fondamentale », insiste l’homme de loi.

Les directeurs des ressources humaines (DRH) manquent pourtant d’arguments : « Lorsqu’affluent les demandes de congés pour fête religieuse ou lorsque les pauses pour prière s’éternisent, la loi n’est que de peu de secours », risque ce DRH d’une entreprise du BTP. Un exemple malvenu selon Patrick Thiébart qui rappelle que les sujets d’organisation du travail sont précisément du ressort du management et des représentants du personnel : « La négociation d’une charte sur le fait religieux par le biais d’un accord d’entreprise sert à poser les règles de fonctionnement, à aborder la question des roulements et de la mise en œuvre de la continuité d’activité, voire à encadrer les temps de pause », énumère l’avocat. A condition toutefois de respecter la loi. La charte de la laïcité de Paprec, intégrée en 2014 au règlement intérieur du recycleur, qui interdit le port de signes ou de tenues trahissant une foi, n’est pas conforme au Code du travail. Le Conseil d’Etat a même jugé qu’un règlement intérieur ne peut défendre aux salariés d’avoir entre eux des discussions politiques ou religieuses dans l’enceinte de l’entreprise.
Source:  http://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/ressources-humaines/harcelement-au-travail/0211243706525-fait-religieux-en-entreprise-le-principe-de-neutralite-de-regle-rien-213601.php?SoxwBepohQWo0c7V.99