Les journalistes du quotidien britannique sont désormais prévenus s’ils interrogent trop d’hommes dans leurs articles.
Inciter les journalistes à interroger plus de femmes. Ne plus uniquement interviewer des experts masculins. C’est la mission que s’est donnée le Financial Times, journal britannique spécialisé en économie, qui avertit désormais ses journalistes lorsque leurs articles font intervenir trop peu de femmes, rapporte le Guardian, mercredi.
Trop peu de femmes interviewées
Une décision issue d’une triste constatation : le Financial Times s’est rendu compte que seulement 21% des interviewés dans ses pages étaient des femmes. C’est ainsi qu’est né l’idée d’un logiciel analysant les pronoms et les prénoms, chargé de déterminer si les interlocuteurs cités dans les articles publiés sont des hommes ou des femmes.
À l’avenir, les journalistes pourraient même être prévenus en temps réel, c’est-à-dire pendant qu’ils écrivent leur article, pour leur permettre d’ajouter des expertes s’ils le peuvent. Une autre expérience, menée en parallèle, tentera aussi d’imposer davantage d’images de femmes en illustration des articles.
Féminiser le lectorat
Le Financial Times, qui aborde des thématiques issues d’un univers très masculin, tente d’attirer un lectorat plus féminin. « Les journaux qui font intervenir de grandes proportions de femmes, qui mettent aussi des images de femmes, sont bien lus par des femmes », a indiqué la rédactrice en chef Roula Khalaf dans un mail interne, selon le Guardian.
Par ailleurs, la quantité d’éditos écrits par des femmes a aussi augmenté dans le Financial Times, passant de 20 à 30% de mars à août dernier. « On surveille non seulement le genre des contributeurs mais aussi leur ethnicité, et leur localisation géographique, dans un effort de faire entendre davantage de voix féminines, plus de minorités et des voix régionales », a ajouté Roula Khalaf.
La représentation des femmes dans les médias, une question mondiale
La place des femmes dans les médias est, au Royaume-Uni et dans le monde, une problématique cruciale. Une étude parue en août, menée outre-Manche par le Global Institute for Women’s Leadership et le King’s College London a révélé que 77% des personnes interrogées en tant qu’experts dans les articles en ligne au Royaume-Uni sont des hommes, sur la base de 1112 articles parus en avril 2018.
Et quand il s’agit de politique étrangère, ou d’économie et de finance, les chiffres s’envolent : seulement 13 à 14 % de femmes sont interrogées. « Ces chiffres sont déchirants, a expliqué Laura Jones, chercheuse du Global Institutedans un communiqué de presse. Les femmes étant sous-représentées dans des rôles d’expertes, nous encourageons les journaux à être proactifs dans le recherche d’interlocutrices féminines, pour faire en sorte que toutes les voix soient entendues. »
« [La voix des femmes] existe et n’attend qu’à être écoutée »
Aux États-Unis, c’est la même histoire : pour preuve, en février, un journaliste de The Atlantic racontait ainsi son aventure de deux ans, lors de laquelle il a tenté d’équilibrer le genre de ses interlocuteurs, non sans mal. « Tout le monde peut le faire », conclut-il, affirmant que la voix des femmes « existe et n’attend qu’à être écoutée. » Le New York Times s’est également prononcé sur les efforts répétés de la rédaction d’interviewer des femmes dans un article intitulé « Si seulement interviewer des femmes était suffisant. » « L’équilibre des gens dans nos articles n’est que le dernier pas dans un processus de discrimination qui débute bien avant que l’on ne décroche notre téléphone pour enquêter », affirment les journalistes Amanda Taub et Max Fisher.
Et en France, alors ? Des études effectuées par le CSA sur le milieu radio et télévisé ont été effectuées et démontrent régulièrement que la présence des femmes a beau augmenter, elles sont toujours en minorité. En revanche, sur les supports écrits, peu de chiffres ont pour le moment été publiés. Mais pour les journalistes français qui souhaitent toutefois interviewer davantage de femmes, un guide « d’expertes à la une » existe. Pratique.