L’association Grey Pride tente de venir en aide aux séniors LGBT et séropositifs, qui souffrent encore plus de l’isolement et de la pauvreté que les autres personnes âgées..
« Dans notre société, les vieux, c’est toujours les autres ! », ironise Francis Carrier. Ce samedi, il défilera pour la Gay Pride à Paris. Mais ce qu’il aimerait, c’est qu’on s’intéresse plutôt à Grey Pride, l’association qu’il a fondée en novembre 2016 pour aider les LGBT séniors.
« Je suis bénévole aux Petits frères des pauvres et je me suis demandé où passaient les vieux gays et vieilles lesbiennes ? raconte Francis Carrier, 63 ans. On ne les voit nulle part. Parce que par peur d’être stigmatisés, ils s’isolent. Souvent, quand vous participez à une association, la première question qu’on vous pose, c’est « vous avez des enfants ? » Plutôt que de s’inventer une vie hétéro ou de subir la discrimination, certains s’enterrent. » Si la solitude fait souffrir bien des personnes âgées, l’homosexualité accentue alors l’isolement.
« Et le sida ajoute encore une couche de plus de discrimination », explique ce séropositif depuis 1984, qui regrette que l’Etat n’ait pas été très prévoyant. Grâce à l’avancée des traitements, on peut aujourd’hui vivre longtemps avec le sida. Certaines études assurent même que l’espérance de vie est la même pour un séropositif traité et pour une personne qui n’est pas malade. « Environ 50.000 séropositifs ont plus de 50 ans, mais dans quelques années, deux tiers de cette population entrera dans le grand âge », avance Francis Carrier.
« Etre vieux et séropositif est devenu synonyme d’isolement et de honte, regrette aussi Didier Lestrade, co-fondateur d’Act up-Paris et de Têtu. Alors qu’on devrait être fiers d’avoir survécu, de s’être battus pour les autres. »
Des difficultés financières et des carrières brisées
Cette figure de proue de l’engagement dans la lutte contre le sida dénonce aujourd’hui le manque de reconnaissance. « Le bénévolat ne fait pas vivre, tempête Didier Lestrade, séropositif depuis 1986. Il y a deux ans, je mangeais grâce auxRestos du Cœur, avec tout ce que j’ai donné dans ma vie pour la société. Aujourd’hui, je dis tout haut ce que des milliers vivent dans le silence, assure le presque sexagénaire au RSA. Dans les années 1990, on s’est battus pour avoir accès à des traitements, mais aujourd’hui l’urgence est tout aussi importante pour des séniors séropositifs qui n’arrivent pas à boucler leur fin de mois. »
Le parcours professionnel des séropositifs a souvent été bouleversé par la maladie. « Beaucoup de personnes séropositives ont vécu des ruptures professionnelles et se retrouvent dans des situations chaotiques à la retraite », renchérit Francis Carrier. Soit parce qu’ils ont milité pendant des années bénévolement, soit parce que leurs problèmes de santé leur ont imposé des parenthèses dans leur carrière… « Quand vous travaillez en entreprise, un salarié reste pour toujours le malade du sida et n’aura pas le même trajet qu’un autre », ajoute le fondateur de Grey Pride.
Un manque de moyens qui peut s’avérer dramatique. « Bien sûr, l’espérance de vie des séropositifs a beaucoup augmenté, reprend-il. Mais quand on vit avec 800 euros, sans ami et au cinquième étage sans ascenseur, elle risque de chuter vite ! » Et la solidarité ne va pas forcément de soi. « Le regard de la communauté LGBT sur ses vieux n’est pas tendre, reconnaît Francis Carrier. Le modèle dominant reste le jeune de 25 ans musclé avec un petit cul. »
Comment aider ces séniors séropositifs ?
Francis Carrier ne manque pas d’idées pour améliorer la situation de ces séniors séropositifs et plus généralement LGBT. « En gériatrie, le personnel n’est pas formé sur le VIH. Et on a bien vu dans les années 1980 la force de la peur sur le sida… » Lui espère avec cette association constituer un groupe de pression pour que l’État se penche sur ce sujet. Pour que les personnes âgées ne soient pas oubliées dans les messages de prévention. Pour que des EHPAD pour LGBT voient le jour…
En attendant un tel changement, il tente de reconstruire du lien social, grâce à une ligne d’écoute deux fois par semaine et un salon ouvert une fois par mois. « Parce que la première étape, c’est de les rendre visibles, de leur rendre leur fierté, leur droit d’exister », plaide Francis Carrier.
Il l’assure : la problématique est transversale. Rejoint par douze associations LGBT, Grey Pride se veut un espace de réflexion sur la vieillesse et le VIH, mais aussi sur l’habitat, la solidarité, la discrimination, le sport. Le collectif va également participer au Gay Games à Paris en août 2018. Autant de relais pour se faire entendre. D’ici là, le film de Robin Campillo, qui sortira en salle fin août après avoir ému le Festival de Cannes, devrait donner un coup d’accélérateur à cette médiatisation des séniors séropositifs : 120 Battements par Minutes retrace le combat et le courage des membres d’Act-Up. « Le sida nous a beaucoup affectés, déglingués même », résume Didier Lestrade.