Il s’agit d’une distinction officieuse, d’une palme sans tapis rouge : l’entrée d’une œuvre dans le cercle restreint du programme officiel du baccalauréat pour les terminales littéraires. Dans cette épreuve où les auteurs de tous les siècles sont en compétition, les femmes n’auraient jamais été lauréates. Un pied de nez de l’éducation nationale aux écrivaines, poétesses et philosophes qui fait grincer Françoise Cahen, professeure de français d’un lycée d’Alfortville (Val-de-Marne). L’enseignante, en signe de protestation, a lancé une pétition « pour donner leur place aux femmes dans les programmes de littérature du bac L ».

C’est André Gide et ses Faux Monnayeurs qui ont reçu en vue du bac 2017 ce discret coup de chapeau de la postérité. Gide succédera à Flaubert et à l’antique Sophocle, toujours moderne après deux millénaires et demi. En consultant les archives des œuvres complètes étudiées en vue du baccalauréat littéraire, on trouve des siècles de testostérone, où se côtoient William Shakespeare, Jean de La Bruyère, Chrétien de Troyes, André Breton, Ovide…

Coup de gueule

« Nous ne demandons pas la parité », précise Françoise Cahen dans sa pétition, juste que les « grandes écrivaines comme Marguerite Duras, Mme de Lafayette, Annie Ernaux, Marguerite Yourcenar, Nathalie Sarraute, Simone de Beauvoir, George Sand, Louise Labé… soient aussi régulièrement un objet d’étude pour nos élèves ».

Du côté du ministère, on jure de prendre l’affaire au sérieux : « C’est un vrai sujet que celui soulevé par les pétitionnaires, assure-t-on dans l’entourage de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. S’il n’appartient pas à la ministre d’intervenir dans les listes d’auteurs mises au point en commission, nous allons néanmoins ajouter aux critères de sélection pris en compte traditionnellement — reconnaissance littéraire, longueur, difficulté, accessibilité du texte, etc. — un critère visant au respect de l’égalité entre auteurs et auteures. »

En clair, à en croire le ministère, l’anomalie est repérée et les choses vont changer ! Pourtant, le coup de gueule de l’enseignante, n’est pas une première dans son genre. En 2014, une lycéenne bordelaise a, elle aussi, lancé une pétition afin de « donner une place aux femmes dans les programmes scolaires ». Elle y interpellait Benoît Hamon, alors ministre de l’éducation nationale, en ces termes :

« Ce que ce programme montre, c’est à quel point les femmes peuvent vivre dans l’ombre des hommes, comment l’histoire retient les hommes et non les femmes. L’école n’est pas encore le lieu où l’on rappelle que, cachées derrière de grands hommes… il y a de grandes femmes, mais qu’on ne choisit pas de les retenir… Là où le programme de littérature ne parle de George Sand qu’en la subordonnant à Alfred de Musset, le programme de philosophie a choisi de tomber dans l’autre extrême : Sartre y figure, Simone de Beauvoir peut quant à elle toujours courir. Quelle ironie ce serait en effet de faire figurer l’une des grandes théoriciennes du féminisme du XXe siècle dans un programme aussi sexiste ! »

En dépit de près de quinze mille signatures recueillies par cette pétition, les auteures sont demeurées dans l’antichambre du baccalauréat littéraire. Un an plus tard, c’est au tour de la blogueuse Maureen Wingrove, illustratrice et auteure de bande dessinée, de reprendre le flambeau dans une note intitulée « Femmes de lettres, je vous aime » et de dénoncer le genre unique du programme littéraire, pourtant « des femmes auteurs qui déboîtent, il y en a eu plein », s’offusque la jeune femme, citant à la volée Madame de Staël, Delphine de Girardin, Colette, Simone de Beauvoir, Virginia Woolf, Elsa Triolet, Marguerite Duras… En vain. Un an plus tard, beaucoup d’auteures sont toujours dans la file d’attente du baccalauréat littéraire.

Les femmes au baccalauréat

Toutefois, il serait inexact d’affirmer que les grandes plumes du beau sexe n’ont aucune place au baccalauréat. Si on fouille avec un peu d’attention les archives du ministère, on retrouve sans peine quelques textes de femme proposés aux épreuves écrites du bac de français, en première. Marguerite Duras figurait ainsi aux côtés de Jean Racine et de Pierre Corneille parmi les auteurs de textes à commenter des lycéens de séries E et ES en Amérique du Nord, en 2013.

Des extraits d’œuvres de Simone de Beauvoir et de Colette sont également tombés au bac de français, en 2007 et en 2013. Et en 2014, les lycéens d’Amérique du Nord ont pu lire les mots magnifiques d’Hélène Cadou, rendant hommage à son poète de mari, disparu.
Source : http://www.lemonde.fr/bac-lycee/article/2016/05/13/le-bac-l-brouille-avec-les-femmes-de-lettres_4919338_4401499.html