Lundi à 14 h 38 exactement, des milliers d’Islandaises ont arrêté de travailler à l’appel de syndicats et d’organisations féministes pour protester contre les inégalités salariales entre hommes et femmes. Pourquoi cet horaire ? Car les salariées de l’île étant rémunérées 14 % de moins que leurs collègues masculins, selon les dernières données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), elles arrêtent d’être payées après cette heure précise alors que les hommes, eux, le sont jusqu’à 17 heures (le calcul a été effectué sur une journée de huit heures).
La date n’a pas été choisie au hasard : le 24 octobre 1975, 9 Islandaises sur 10 s’étaient mises en grève pour rejoindre la capitale Reykjavik, et manifester pour le «Kvennafrídagurinn» («le jour de repos des femmes» en V.F.). Les Islandaises avaient de nouveau abandonné leur poste de travail en 2005, à 14 h 08, puis à 14 h 25 en 2008. Ce recul progressif de l’heure de sortie traduit une réduction des inégalités salariales, mais légère, puisque en onze ans, de 2005 à 2016, seulement trente minutes ont été gagnées.
A quelle heure les salariées espagnoles, américaines, israéliennes ou japonaises devraient-elles aussi quitter leur travail en fonction des inégalités de salaires en vigueur dans leur pays ? A Libération on s’est posé la question. Et comme on aime bien se prendre la tête, on a fait le calcul, à partir des données de l’OCDE, accessibles en ligne et datées de 2010, dernière année où des données sont disponibles pour la France.
Les Turques à 13 h 37
La Commission européenne publie également des statistiques sur les écarts de salaires entre femmes et hommes, mais l’Islande n’est pas membre de l’UE, et sa définition est différente de celle de l’OCDE (la première prend en compte «la différence moyenne de rémunération horaire brute entre les travailleurs de sexe féminin et masculin», la seconde «la différence entre le salaire médian des hommes et des femmes rapportée au salaire médian des hommes»). A noter qu’en 2010, l’écart de salaires entre les deux sexes en Islande n’était pas de 14 % mais de 14,3 % : pour la cohérence de l’ensemble, on fera comme si les Islandaises étaient descendues dans la rue non pas à 14 h 38, mais à 14 h 35.
Résultat : ce sont les salariées coréennes qui travaillent le plus longtemps gratis, à partir de 10 h 48 très exactement. L’écart de salaires hommes-femmes y atteignait 36,6 % en 2010. Les travailleuses espagnoles sont en revanche payées jusqu’à 15 h 59, le taux n’étant que de 6 % (il a depuis un peu augmenté). En vrac, les salariées britanniques cessent d’être rémunérées à 13 h 45, les Grecques à 14 h 57, les Turques à 13 h 37 et les Françaises à 14 h 38.
Un autre moyen de mettre en scène l’inégalité salariale entre les sexes consiste à calculer à quelle date dans l’année les salariées cessent virtuellement d’être rémunérées. La Commission européenne avait ainsi annoncé l’année dernière, sur la base de ses données, que les femmes européennes ne touchaient plus de salaires à partir du 2 novembre au soir – 59 jours de moins que leurs homologues masculins. L’institution avait alors expliqué dans un communiqué que si l’écart entre les salaires ne se réduisait pas plus vite, il faudrait encore soixante-dix ans pour atteindre l’égalité salariale entre hommes et femmes.
L’écart de rémunération ne dit cependant pas tout et doit être mis en relation avec d’autres indicateurs, par exemple sur le taux d’emploi des femmes, leur niveau de qualification ou le recours au temps partiel, qui permettent d’appréhender de manière plus complète les inégalités femmes-hommes sur le marché du travail.