Un livre qui dérange les certitudes
Olivier Sibony, professeur à HEC Paris et expert reconnu des biais cognitifs, s’attaque dans La diversité n’est pas ce que vous croyez à un paradoxe de notre époque : alors que la diversité est célébrée comme une valeur absolue, elle peine à se concrétiser dans les faits. Pourquoi un tel écart entre le discours et la réalité ?
Sibony, co-auteur avec Daniel Kahneman du best-seller Noise (sur les erreurs de jugement), part d’un constat simple : la diversité est rarement ce qu’on croit. Elle n’est ni un gage automatique de performance, ni une simple question de représentation. C’est un processus complexe, souvent mal compris, et surtout, rarement mis en œuvre avec sincérité.
« Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, la crise économique de 2008 aurait été bien différente. » Cette phrase de Christine Lagarde, souvent citée pour vanter les mérites de la mixité, sert de point de départ à Sibony. Mais attention, prévient-il : les études sur la diversité sont souvent mal interprétées, voire instrumentalisées.
Pourquoi la diversité reste-t-elle un leurre ?
1. La diversité comme outil de performance : un mythe ?
Les entreprises et les institutions aiment brandir la diversité comme un levier de performance. Pourtant, Sibony démontre que les preuves scientifiques sont bien plus nuancées qu’on ne le pense :
- Les méta-analyses montrent que la diversité peut améliorer la créativité et la résolution de problèmes, mais seulement dans des conditions très précises (diversité cognitive, gestion active des conflits, etc.)
- Dans la plupart des cas, la diversité ne booste pas la performance globale d’une organisation. Pire, mal gérée, elle peut générer des tensions et réduire l’efficacité.
- Sibony cite l’exemple des entreprises américaines qui, sous la pression politique, ont abandonné leurs programmes DEI (Diversité, Équité, Inclusion) du jour au lendemain. Preuve que ces engagements étaient souvent superficiels, voire opportunistes.
2. L’homogénéité persistante : pourquoi les élites ne changent pas ?
Malgré les discours, les cercles du pouvoir (entreprises, médias, universités) restent remarquablement homogènes. Sibony identifie plusieurs raisons :
- Les biais inconscients : Les processus de recrutement et de promotion favorisent spontanément les profils similaires à ceux des décideurs. Même avec des CV anonymes, les stéréotypes jouent un rôle majeur.
- Les mécanismes de reproduction sociale : Les réseaux, les codes culturels et les attentes implicites excluent ceux qui n’en maîtrisent pas les règles.
- L’illusion de la méritocratie : Beaucoup d’organisations croient que leurs processus sont neutres, alors qu’ils reproduisent des inégalités structurelles.
3. Le « diversity washing » : quand la diversité devient un alibi
Sibony dénonce une tendance inquiétante : la diversité comme outil de communication, sans réelle volonté de changement. Exemples :
- Les chartes et les labels « diversité » qui se multiplient, mais sans impact concret sur les pratiques.
- Les formations obligatoires sur les biais inconscients, souvent perçues comme une corvée plutôt qu’une opportunité de progression.
- Les rapports RSE qui mettent en avant des chiffres de diversité, sans analyser les raisons de leur stagnation.
Cinq axes pour sortir de l’impasse
Olivier Sibony ne se contente pas de critiquer : il propose des solutions concrètes, fondées sur des recherches récentes et son expérience terrain.
1. Instaurer une véritable méritocratie
La diversité émergera naturellement si les processus de sélection sont réellement équitables. Pour cela, Sibony recommande :
- Des critères objectifs et transparents : Éviter les évaluations subjectives (« feeling », « fit culturel ») qui favorisent les profils similaires.
- Des jurys diversifiés : Pour limiter les biais, les décisions doivent être prises par des groupes hétérogènes.
- Un suivi des données : Mesurer l’impact des politiques de diversité, et ajuster en fonction des résultats.
2. Cibler la diversité fonctionnelle
Toutes les formes de diversité ne se valent pas. Sibony distingue :
- La diversité « visible » (genre, origine ethnique) : Importante, mais insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’une diversité des modes de pensée.
- La diversité « cognitive » : La vraie valeur ajoutée vient de la variété des perspectives, des expériences et des compétences. Une équipe diversifiée sur le plan cognitif sera plus innovante qu’une équipe homogène, même « diverse » en apparence.
3. Accepter et gérer les conflits
La diversité génère inévitablement des tensions. Plutôt que de les nier, Sibony propose :
- Des espaces de dialogue structurés : Pour permettre aux désaccords de s’exprimer sans dégénérer.
- Une culture de la feedback : Apprendre à donner et recevoir des retours constructifs, même difficiles.
- Un leadership inclusif : Les managers doivent être formés à gérer des équipes hétérogènes, sans tomber dans le piège du « consensus mou ».
4. Éviter les pièges des politiques symboliques
Sibony met en garde contre les mesures qui donnent l’illusion de l’action sans changer les choses :
- Les quotas : Ils peuvent être utiles à court terme, mais ne résolvent pas les problèmes structurels. Pire, ils peuvent générer du ressentiment.
- Les formations obligatoires : Souvent inefficaces, voire contre-productives, si elles sont perçues comme une punition.
- Les discours incantatoires : Parler de diversité sans agir, c’est prendre le risque de discréditer l’ensemble de la démarche.
5. Mesurer l’impact réel
Pour éviter le « diversity washing », Sibony insiste sur la nécessité de mesurer l’efficacité des politiques mises en place :
- Des indicateurs qualitatifs : Au-delà des chiffres, évaluer l’inclusion réelle (sentiment d’appartenance, opportunités de carrière).
- Des audits réguliers : Identifier les blocages et ajuster les stratégies.
- Une redevabilité : Les dirigeants doivent être tenus responsables des progrès (ou de leur absence).
Et maintenant ? La diversité comme travail permanent
La diversité n’est pas ce que vous croyez ne laisse pas indemne. Après sa lecture, impossible de voir les discours sur la mixité ou l’inclusion de la même manière. Une chose est sûre : la diversité n’est pas un état à atteindre, mais un processus à construire chaque jour.
Chez entre-autre, nous croyons que la diversité se construit par l’échange, l’analyse critique et l’action collective. Vous voulez repenser vos politiques de diversité, décrypter les enjeux du vivre-ensemble ou simplement en débattre sans tabous ? Contactez-nous pour des ateliers, des débats et des accompagnements sur mesure – parce que la diversité, ça se vit, ça se questionne, et ça s’invente ensemble.
Etienne Allais