Vous avez peut-être suivi les divergences qui s’affichent entre différentes approches de l’antiracisme dans la société française.
De nouveaux mouvements, qui utilisent principalement des concepts issus de modèles américains, théorisent l’antiracisme autour des notions de « privilèges blancs », « racisés », « intersectionnalité » et dévoient l’antiracisme dit « universaliste » qui ne permettrait pas de faire reculer réellement le racisme.
Au-delà de ce nouveau vocabulaire, une question essentielle traverse ces polémiques, c’est celle de la légitimité à parler de ces questions en raison de sa couleur ou de son origine.
On entend de plus en plus souvent que le fait d’être soi-même victime ou potentiellement victime serait une condition nécessaire pour trouver les réponses collectives au racisme.
Si cela change indéniablement la perception des réalités quotidiennes, il me semble extrêmement dangereux d’écouter la parole des autres qu’au regard de sa couleur, de son sexe ou toute autre composante.
Entendre les récits, les ressentis individuels et les expériences des personnes qui subissent les exclusions, que ce soit du racisme, du sexisme, de l’homophobie ou autre est absolument nécessaire pour agir. Mais considérer que ces récits ne peuvent pas être interrogés voir contredits par des personnes qui ne le subissent pas pose de sérieuses limites éthiques.
Ce serait partir du principe qu’un homme ne serait pas à même de reconnaître du sexisme ou qu’une personne blanche ne pourrait être objective face à un comportement raciste. C’est partir du principe que nos vécus seraient si fortement impactés par notre sexe, notre couleur ou autre qu’ils nous empêcheraient d’être à même de comprendre et de s’opposer à des phénomènes qui ne nous concernent pas. Ce serait considérer qu’il ne serait pas vraiment possible pour un humain de se décentrer de sa condition.
Ce chemin n’aura aucun effet émancipateur, car au nom de luttes nécessaires contre ces phénomènes, ils auraient comme conséquences d’enfermer un peu plus chacun et chacune d’entre nous dans des composantes uniques de nos identités.
L’autre chemin, moins spectaculaire, consiste à croire que l’émancipation passe par la mise à bas des essentialisations collectives. C’est en cassant l’idée que les filles seraient moins fortes en mathématiques que nous permettrons à celles qui aiment cela de s’émanciper. C’est en cassant l’idée que les femmes supporteraient moins la pression que nous permettrons à celle qui le souhaite d’accéder plus souvent à des postes à responsabilité. C’est en cassant l’idée qu’un homme Arabe serait plus violent qu’ils pourront plus facilement atteindre leurs emplois rêvés. C’est en cassant l’idée qu’une femme Arabe serait soumise qu’elles pourront s’émanciper dans leur travail.
Cela passe par une capacité à faire respecter les lois qui nous protègent collectivement, y compris dans les entreprises. Cela passe par des voies de recours d’une décision, car parfois une personne en charge de juger peut aussi se tromper. Cela passe par une meilleure capacité à inclure les collectifs dans les prises de décision qui concernent le quotidien d’une équipe ou d’une entreprise.
Cela passera aussi, je pense, par une future génération de manager et de responsables qui seront aussi recrutés sur leur capacité de décentration. Gérer un collectif nécessite de pouvoir se mettre à la place de chacun et de chacune pour mieux interroger les ressentis et mieux les prendre en considération dans les décisions quotidiennes.
Etienne Allais
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