Plusieurs dirigeants de grandes entreprises de la Silicon Valley ont récemment quitté leurs fonctions après avoir harcelé des femmes

Le sexisme est un problème récurrent dans la Silicon Valley. Dans ce monde majoritairement composé d’hommes blancs, les femmes sont non seulement moins nombreuses, mais aussi moins payées et souvent moins considérées. Ces dernières semaines, certaines ont également témoigné, parfois à visage découvert – fait rare –, pour dénoncer le harcèlement dont elles sont victimes de la part de certaines figures du secteur, menant certains à la démission.

« Je suis un pervers. Pardon. » Samedi 1er juillet, Dave McClure, fondateur de l’incubateur 500 Startups, formulait cet aveu dans un billet de blog. La veille, un article du New York Times consacré au harcèlement des femmes dans la Silicon Valley dénonçait son comportement, évoquant notamment un message Facebook envoyé à l’entrepreneuse Sarah Kunst, qui postulait pour un emploi : « Je ne sais toujours pas si je dois t’embaucher ou te draguer ».

Dans sa confession, Dave McClure admet avoir « fait des avances à plusieurs femmes dans le cadre du travail, dans un contexte clairement inapproprié (…). J’ai égoïstement profité de ces situations », poursuit l’investisseur, qui reconnaît avoir eu un comportement « inexcusable ». Dave McClure avait déjà fait l’objet cette année d’une enquête interne à ce sujet, aux conclusions accablantes – il avait alors dû renoncer à son titrede directeur général.

Les excuses de samedi n’ont pas suffi. Sarah Kunst, qui affirme que les discussions concernant le poste qu’elle convoitait ont cessé après avoir refusé les avances de Dave McLure, a ensuite appelé à sa démission sur Twitter. Un fond d’investissement australien travaillant avec 500 Startups, LaunchVic, l’a soutenue, menaçant de se retirer si Dave McClure restait à son poste. Celui-ci s’est finalement exécuté lundi.

Le 19 février, Susan Fowler, ancienne employée d’Uber, publie un article sur son blog où elle dénonce le harcèlement sexuel au sein de l’entreprise. Quatre mois plus tard, Travis Kalanick, le PDG démissionne. « J’aime Uber plus que tout au monde, déclare-t-il au New York Times, j’ai accepté la demande des investisseurs de m’écarter pour qu’Uber puisse continuer de se construire plutôt que d’être distraite par un autre combat. »

La purge initiée après l’article de Susan Fowler a laissé l’entreprise exsangue. Plusieurs hauts cadres ont été jugés coupables de harcèlement sexuel ou de discrimination après une enquête interne et ont été renvoyés ou poussés à démissionner. Kalanick avait d’abord nié les accusations de son ancienne employée sur Twitter : « Je viens de lire le post de Susan Fowler. Ce qu’elle décrit est honteux et contre tout ce en quoi Uber croit ». Mais très vite, les médias ont pointé des faits accablants.

Le site The Information a notamment révélé que cinq membres d’Uber, dont Travis Kalanick, se sont rendus dans un bar d’escort-girls en Corée du Sud. Signalé aux ressources humaines par une employée présente, l’incident est ignoré. Mais c’est l’histoire d’Eric Alexander, le directeur des affaires d’Uber Asie-Pacifique, décrite par le site spécialisé Recode, qui coule définitivement Kalanick et son bras droit, Emil Michael. Les avocats de la victime d’un viol par un chauffeur Uber en Inde l’accusent de s’être procuré son dossier médical et de l’avoir montré au PDG et à son second, afin de la discréditer.

Le 22 juin, six femmes de la Silicon Valley témoignaient dans les colonnes du site The Information contre l’investisseur Justin Caldbeck, cofondateur de Binary Capital. SMS explicites, messages envoyés au milieu de la nuit, propositions inappropriées pendant des réunions et même attouchements : plusieurs femmes ont fini par renoncer à collaborer avec lui.

Après avoir dans un premier temps nié ces accusations, il a finalement publié le lendemain un texte dans lequel, sans reconnaître les faits, il s’excuse auprès de ces femmes de les avoir mis « mal à l’aise » et annonce prendre un congé d’une durée indéterminée. Tout en affirmant que les informations circulant sur ces affaires « manquent d’éléments de contexte importants ». L’investisseur reconnaît que le harcèlement sexuel est « un problème » dans la Silicon Valley : « Je déteste l’idée que mon comportement y ait contribué. »

Le 1er juin, Tesla a confirmé avoir licencié AJ Vandermeyden, une ingénieure qui avait porté plainte contre l’entreprise pour harcèlement et discrimination. Mme Vandermeyden avait dénoncé « un harcèlement permanent et non-sollicité de la part des hommes dans l’usine, dont des sifflements et des mots non-appropriés ».

Tesla affirme avoir mené une enquête interne, et que les plaintes étaient « sans fondement ». Mais pour les avocats de Mme Vandermeyden, le licenciement est clairement une mesure de rétorsion. « Quelqu’un essaye de dire aux employés que s’ils parlent publiquement de choses qu’ils ont pourtant tout à fait le droit d’évoquer, ils seront licenciés », a dit Mme Vandermeyden au Guardian.

Chris Sacca est une personnalité bien connue de la Silicon Valley : investisseur dans plusieurs start-up via le fonds Lowercase Capital, il est aussi l’animateur de Sharks tank (« l’aquarium des requins »), une émission de téléréalité dans laquelle des entrepreneurs viennent présenter leur projet à un groupe d’investisseurs potentiels (les « requins »).

Le 29 juin, il a publié une longue note sur la plateforme Medium, après la publication de l’article du New York Times qui révélait qu’en 2009, il avait eu un comportement déplacé envers une femme lors d’une fête. Dans son long texte, intitutlé « j’ai encore du travail », il reconnaît avoir mal agi, tout en expliquant que les événements sont anciens, et que « la culture du mépris [de la Silicon Valley] crée un environnement de travail délétère pour les femmes et les autres minorités (sic) ». Les engagements de M. Sacca, qui promet d’utiliser sa visibilité pour faire passer ce message, sont cependant sujets à caution : Susan Fowler, qui avait dénoncé le harcèlement permanent chez Uber, a ensuite expliqué avoir reçu des messages de sa part tentant de la convaincre de cesser de parler de lui.

Les médias couvrant la Silicon Valley, et notamment les femmes journalistes y travaillant, font aussi les frais du sexisme ambiant du secteur. Le site spécialisé dans les nouvelles technologies TechCrunch, qui suit de près ces affaires depuis plusieurs années, écrivait le mois dernier que les femmes journalistes de son équipe sont souvent confrontées au harcèlement. Le site évoque « des propositions par texto tard le soir » ou des situations dans lesquelles les journalistes « doivent repousser des avances non sollicitées lors d’événements professionnels ».

Parallèlement, Sam Altman, le directeur du tout-puissant incubateur Y Combinator, qui a financé certaines des plus grandes entreprises du Web, a pris le parti des victimes de harcèlement ce premier juillet, remerciant sur Twitter « toutes les femmes qui ont osé parler (…) le changement se produira grâce à vous ». Mais le même jour, M. Altman a aussi publié un message menaçant à l’adresse de la rédactrice en chef du site d’actualité Pando Daily, Sarah Lacy, avec lequel il est en conflit depuis trois ans. « J’ai été contacté par quelqu’un qui dit avoir travaillé avec vous et détenir des informations intéressantes… », écrit-il, dans le cadre d’une vive discussion avec Sarah Lacy.

Une menace claire pour Pando Daily. « Tout ce qui importe aux Sam Altmans de ce monde, c’est qu’un site dirigé par une femme ait osé dire des choses méchantes sur l’une de leurs entreprises. Dans le monde de Sam, ce genre d’insubordination ne peut pas être toléré », écrit Paul Bradley Carr, le directeur éditorial de Pando Daily, dans un long article, cité plus tard sur Hacker News, le site de partages de liens de Y Combinator, avant d’être modéré, dans ce que certains dénoncent comme une tentative de censure.

En 2015, un procès emblématique du sexisme de la Silicon Valley et du milieu des investisseurs s’est tenu à San Francisco. Ellen Pao, ancienne PDG du plus grand forum du monde, Reddit, a poursuivi en justice son ancien employeur, le fonds d’investissement Kleiner Perkins Caufield & Byers, pour discrimination. Elle accusait ses supérieurs de lui avoir refusé des promotions en raison de son genre, et dénonçait par ailleurs des cas de harcèlement sexuel au sein de la société.

Elle a finalement perdu son procès et refusé de faire appel, selon elle par manque de temps et de ressources, et par découragement face aux nombreuses attaques sexistes qu’elle subissait sur Internet. « Je demande aux entreprises de ne pas tenter de faire taire les employés qui témoignent de problèmes de discrimination et de harcèlement », ajoutait-elle dans une lettre ouverte sur le site Recode.

Déjà, à l’époque, le procès d’Ellen Pao faisait écho à d’autres témoignages de sexisme et de harcèlement dans la Silicon Valley. Trae Vassallo, une femme ayant travaillé chez Kleiner Perkins Caufield & Byers, a d’ailleurs publié en janvier 2016 une étude sur le sexisme subi par les femmes travaillant dans le monde des nouvelles technologies : 60 % des plus de 200 femmes interrogées déclaraient avoir déjà été harcelées sexuellement. Et le Département du travail américain a ouvert une enquête contre Google, accusé de sous-payer ses salariées par rapport à leurs homologues masculins.
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