« Les femmes prononcent en moyenne 20000 mots par jour alors que les hommes n’en prononcent que 7000. »

Il y a quelques semaines, lors d’une discussion avec des personnes que je ne connaissais pas, le sujet des différences entre les hommes et les femmes s’invite.

Après quelques sorties sur la sensibilité des femmes et leur goût prononcé pour la dépense excessive, j’entends cette phrase : « les femmes prononcent en moyenne 20000 mots par jour alors que les hommes n’en prononcent que 7000. »

Les yeux écarquillés, je mémorise cette phrase que je n’avais jamais entendue. Quelques recherches plus tard, j’ai décidé de vous raconter l’histoire de la vie de ce stéréotype.

Étape de la vie du stéréotype n°1 : la croyance.

 

C’est bien connu, les femmes sont des pipelettes ! Il suffit de regarder un groupe de copines pour se rendre compte qu’elles n’arrêtent jamais de parler.

Combien de fois avons-nous entendu cela ? Des centaines !

Mais est-ce si faux que cela ? Regardez un groupe de copines et vous verrez bien qu’elles parlent beaucoup !

C’est ce qu’on appelle la perception sélective. On projette mentalement la vision d’une conversation entre copines sans jamais se poser la question « que fait un groupe de copains quand ils sont ensemble ? ».

Car, corrigez-moi si je me trompe, mais je n’ai pas l’impression qu’une bande de copains se regarde dans le blanc des yeux en prononçant un mot de temps en temps quand ils sont ensemble.

Cet effet est classique, on adhère à une croyance sans la confronter mentalement à une contradiction qui pourrait la mettre à mal.

Étape de la vie du stéréotype n°2 : la caution « scientifique ».

 

1ère explication : le livre à succès.

C’est le livre d’une psychiatre américaine, Dr Luan Brizendine, qui, sur le bandeau de son livre « The female Brain », annonce que les femmes prononcent 20000 mots par jour alors que les hommes seulement 7000.

Sauf que… interrogée par le Guardian quelques mois plus tard, elle reconnaissait que « le langage n’est pas sa spécialité « , qu’elle a « fait confiance à son entourage « , qu’elle regrettait d’avoir contribué à « propager un mythe« , et elle annonçait que ces chiffres seraient retirés d’éventuelles rééditions.

Deuxième explication : les protéines FoxP2.

L’étude, publiée par des chercheurs de l’université du Maryland dans The Journal of Neuroscience, montrait que les rats mâles disposaient de plus de protéines FoxP2 que les femelles. Ce qui expliquerait que les premiers ont une communication plus variée.

Les scientifiques ont ensuite fait des prélèvements sur des enfants de quatre ans et ont remarqué que les filles avaient plus de FoxP2 que les garçons. D’où leur hypothèse : cet avantage biologique expliquerait, au moins en partie, le fait que les femmes prononcent leurs premiers mots plus tôt que les hommes et qu’elles ont plus de vocabulaire.

Sauf que… à aucun moment dans cette étude les chercheurs n’affirment que les hommes parlent trois fois moins que les femmes.

Étape de la vie du stéréotype n°3 : la caution médiatique.

 

Le Dailymail s’empresse de faire un article à la suite de l’étude scientifique intitulé :

“Sorry to interrupt, dear, but women really do talk more than men (13,000 words a day more to be precise)”

Et de l’illustrer avec cette photo….

Le lendemain, on retrouve en France cet article d’Atlantico :

« C’est prouvé : les femmes parlent (beaucoup) plus que les hommes »

Avec le commentaire sous une photo qui indique élégamment :

« Les femmes débiteraient près de trois fois plus de mots que les hommes par jour. »

Ces articles ont mixé la légende infondée des 20000 mots de la psychiatre américaine avec une étude qui n’a jamais parlé d’un nombre de mots pour tirer une conclusion que tout le monde connaissait déjà avant.

Ce lien entre ces deux éléments est donc monté de toute pièce par les journalistes et commence à se diffuser avec une forme de crédibilité scientifique du phénomène.

J’ajoute et c’est important, que d’autres médias comme Slate ou France Info ont déconstruit les articles de leurs confrères.

Étape de la vie du stéréotype n°4 : l’omission des études contradictoires !

 

Des chercheurs texans ont tenté de vérifier ce cliché. Une équipe du département psychologie de l’Université d’Arizona a placé des microphones pendant plusieurs années sur un groupe de 396 étudiants américains et mexicains. Ils ont enregistré trente secondes de conversation toutes les 12,5 minutes, soit 5% d’une journée, pour savoir s’il y avait un lien entre le genre et le nombre de mots prononcés.

Résultat : les femmes ont prononcé en moyenne 16.215 mots par jour, contre 15.669 pour les hommes. Il y a donc une différence de 546 mots entre les deux sexes. Mais d’après les chercheurs, ce n’est pas significatif sachant que « la différence entre une personne qui parle très peu et quelqu’un de très bavard est de 45.000 mots« .

Non seulement il n’y a pas d’études qui valident le stéréotype, mais il y a une étude, sérieuse (ayons une pensée pour ceux qui ont compté le nombre de mots sur les vidéos durant des heures…) qui contredit et invalide totalement cette croyance.

Trop tard, les fausses études étant plus proches des croyances, elles se diffusent plus vite et plus largement que celles qui sont contradictoires.

C’est ce qui s’appelle le biais de confirmation.

Étape de la vie du stéréotype n°5 : ses conséquences.

 

Le manterrupting, c’est ce phénomène observer en réunion ou les hommes ont tendance à couper la parole aux femmes quand elles prennent la parole.

Souvent inconscient, ce phénomène s’appuie sur des stéréotypes, notamment celui qui voudrait que les femmes parlent beaucoup plus que les hommes parce qu’elles sont bavardes.

Ces effets sont loin d’être négligeables sur l’évolution de carrière des femmes.

Ce stéréotype populaire sur le nombre de mots prononcés par les femmes a donc des conséquences concrètes sur les comportements et sur les inégalités.

Étape de la vie du stéréotype n°6 : ce qui se passe dans votre tête.

 

En lisant cet article, vous aurez peut-être des souvenirs de femmes ou de groupes de femmes très bavardes qui surgiront de votre mémoire. Comme pour vous dire « quand même, cette légende n’est pas totalement infondée ».

Ou même vous vous direz : « d’autres études monteront plus tard que cette « légende » est vraie ».

Rassurez-vous, c’est normal !

Cette croyance qu’on vous a répété de nombreuses fois depuis très longtemps est profondément ancrée dans votre cerveau.

Lire un article qui dit le contraire ne vous convaincra pas sur-le-champ puisque la dissonance cognitive qu’il crée vous amène inconsciemment à résister.

La catégorisation sociale que nous opérons depuis notre plus jeune âge couplée à notre tendance à l’essentialisme psychologique nous a fait utiliser ce stéréotype pour comprendre et analyser des centaines de situations depuis de nombreuses années.

Si ce stéréotype est faux, cela voudrait dire que votre analyse était biaisée depuis très longtemps. Ce que votre cerveau aura du mal à accepter comme ça, d’un coup !

Alors, lâchez-prise, n’essayez pas de résister à cette dissonance.

Par contre, demain, ou après-demain, quand vous aurez recomposé vos croyances avec ces nouvelles informations, prenez le temps de repenser à cet article et vous verrez que vous aurez déjà un peu changé d’avis à ce sujet.

A très vite pour la vie d’un autre stéréotype.

Vous pouvez retrouver ce billet sur LinkdIn : https://www.linkedin.com/pulse/les-femmes-prononcent-en-moyenne-20000-mots-par-jour-alors-allais/

Etienne Allais