Mariage, médecine, éducation… qui a inventé l’inégalité des sexes?
Comment cette hiérarchie a-t-elle pu s’enraciner dans la majorité des cultures? Deux ouvrages racontent l’histoire de la domination masculine.
Si l’universitaire Jean-Claude Bologne, auteur d’une remarquable «Histoire du couple», refuse de colporter les clichés sur l’homme préhistorique assommant Lucy pour mieux la posséder, son analyse des diverses mythologies occidentales rappelle que «l’apparition de la femme est tantôt le mal absolu tantôt un “repos” pour l’homme.»
A l’inverse, d’autres cultures, disséminées entre l’Inde et l’Irlande, ont jadis enfanté un matriarcat ouvrant la porte à la polyandrie, elle-même motivée par la nécessité plus ou moins consciente de «diversifier le patrimoine génétique». Mais la sédentarisation à la fin du néolithique déboucha sur l’émergence du couple, socle de la plupart des civilisations, régi par le mariage à même de garantir la transmission patrimoniale. Reste que, selon les contrées et les époques, ce mariage réservait diverses possibilités. L’auteur rappelle que:
Chez les Spartiates, les vieillards mariés à des femmes plus jeunes pouvaient (et dans certaines versions devaient) accepter que des jeunes gens leur donnent des enfants plus vigoureux. »
« Battre sa femme sans offense envers le Seigneur »
Le couple n’a pourtant pas toujours été une affaire de mariage, décliné en trois catégories sous l’Empire romain, accordant toujours au mari «l’autorité paternelle sur sa femme». En cas d’adultère, l’époux pouvait d’ailleurs tuer sa compagne, voire l’amant. Devenu un «sacrement» pour les peuples occidentaux et christianisés du XIIe siècle, le mariage unique devait supplanter les autres formes de vie à deux, issues de traditions «païennes», et générant çà et là moins d’inégalités entre les sexes. Car avec le mariage, qui codifie la relation homme-femme selon des règles édictées par les autorités civiles ou religieuses, la future épouse doit prouver sa virginité tandis que l’homme peut, par exemple en Flandre médiévale:
Battre et pousser sa femme, la balafrer, la taillader de haut en bas et se chauffer les pieds dans son sang, et coudre les plaies, sans offense envers le Seigneur. »
En Normandie, le mari encourt une condamnation s’il«blesse [sa femme], de sorte qu’il lui arrache un œil, lui casse un bras, ou la frappe exagérément, fréquemment et sans raison». A la même époque, l’essor de l’amour courtois semble bien peu de chose…
La violence de l’inégalité des genres serait-elle consubstantielle à l’homme? Dans «le Rose et le Bleu», les historiennes Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Emmanuelle Berthiaud explorent les cinq derniers siècles pour comprendre «comment notre société a “fabriqué” des attributs associés au masculin et au féminin, qui, rappellent ces chercheuses, ont longtemps induit une hiérarchie et servi à justifier la domination masculine.»Codifiée dès les premiers textes de l’humanité, cette hiérarchie a pu s’enraciner, sous la Renaissance, par des réflexions de médecins possédant un savoir que l’on n’osera qualifier de pointu. Selon Ambroise Paré:
La matrice [l’utérus] a ses sentiments propres, étant hors de la volonté de la femme ; de manière qu’on la dit être un animal, à cause qu’elle se dilate et accourcit […]. Et quand elle désire, elle frétille et se meut, faisant perdre patience et toute raison à la pauvre femmelette. »
La faute à Rousseau ?
Plus encore qu’une pseudo-science, c’est l’éducation qui a longtemps enraciné l’infériorité statutaire des femmes, là encore inspirée d’une relecture de l’Antiquité. En pratique, les élites du XVIIe siècle séparent leur progéniture entre enseignement supérieur pour les garçons et couvent pour les filles, mais un nombre grandissant de jeunes femmes de haute extraction accède à un niveau d’instruction élevé, notamment dans le cadre familial, à l’image de la célèbre Mme de Sévigné.
Au siècle suivant, le rôle des Lumières doit être relativisé: Rousseau, dans son «Emile ou De l’éducation», ne préconisait-il pas de «donner sans scrupule une éducation de femme aux femmes»? La Révolution française fut, pour les femmes, un moment d’affirmation stoppé dès l’avènement du Code civil en 1804, certifiant que «la femme doit obéissance à son mari». Véritablement commencée pendant la révolution de 1830, la «lutte pour les droits civiques féminins» auquel ce livre rend aussi hommage demeure au fond une marche non achevée.
Maxime Laurent
Histoire du couple,
par Jean-Claude Bologne,
Perrin, 313 p., 21 euros.
Le Rose et le Bleu.
La fabrique du féminin et du masculin.
Cinq siècles d’histoire,
par Scarlett Beauvalet-Boutouyrie et Emmanuelle Berthiaud,
Belin, 382 p., 23 euros.