La formulation de l’alerte enlèvement lancée au soir du 18 octobre 2016 a créé la polémique en employant le terme « race noir ». Et pour cause, la signification scientifique du mot « race » ne peut en aucun cas s’appliquer à l’espèce humaine. Les explications de André Langaney, professeur d’anthropologie à l’université de Genève.
Noire, jaune, blanche, verte… Parler de race chez l’être humain n’a pas de sens d’un point de vue scientifique.
Le concept de race peut-il s’appliquer aux humains ?
« Il y a deux concepts de races : les races naturelles et les races domestiques. Ces dernières, créées par les humains, sont des lignées endogames (reproduites entre elles) d’animaux ou de plantes choisis pour certaines qualités, par exemple des vaches qui donnent davantage de lait. Les éleveurs ou agriculteurs excluent les individus qui ne possèdent pas ces qualités. Les races naturelles, elles, sont, au sein de certaines espèces, des populations dont les individus se distinguent. Ce qui suppose des critères physiques ou génétiques propres à tous les individus d’une race et à eux seuls. Le Mau égyptien, par exemple, est une race de chat qui possède naturellement un marquage de taches noires.
Le concept de race domestique ne s’applique pas aux humains, qui n’organisent pas leur reproduction. Le concept de race naturelle ne s’applique pas non plus, faute de critères permettant de classer tous les individus en groupes homogènes séparés. Les diversités génétique et physique humaines sont plus fortes entre les individus d’une même population qu’entre les populations. Ceci rend l’espèce inclassable en races cohérentes, malgré de nombreuses tentatives et crée un malentendu entre le sens commun, où l’on parle de races dès que des gens diffèrent par des critères physiques ou culturels, et le sens scientifique. Ainsi, dire que les races humaines n’existent pas est souvent incompris. Il vaut mieux préciser : “Les humains sont inclassables. Ils ont tous une origine commune récente et ne sont pas séparés. Leur variation est continue, les populations se mélangent et s’interpénètrent depuis toujours. Pensez à la transfusion sanguine : seuls comptent les groupes sanguins – les mêmes partout, sans référence aux aspects physiques ou aux origines géographiques.”
Certes, la génétique met en évidence des différences entre populations, mais il s’agit de différences de fréquences de gènes (par exemple, la fréquence d’un allèle* qui rend la personne capable de digérer le lait à l’âge adulte), pas de gènes qui seraient entièrement présents dans une population et absents dans une autre. Ces différences ne permettent donc pas de classer les individus, mais des populations définies arbitrairement, sur des critères statistiques, eux aussi arbitraires. Selon les gènes et les populations que l’on utilise, on obtient donc des classifications très différentes, incohérentes entre elles et incohérentes avec les caractères physiques visibles. Ainsi, les populations “noires” d’Afrique, d’Inde et du Pacifique sont génétiquement très différentes et bien plus apparentées, chacune, à des populations à peau claire qu’elles ne le sont entre elles. »
*Forme que peut prendre un gène
Propos recueillis Laurent Brasier