Les dernières semaines sont inédites sous beaucoup d’aspects.
C’est le mouvement le plus violent depuis longtemps dans sa forme mais également le plus soutenu par l’opinion publique.
C’est un mouvement qui n’est pas issu d’organisations politiques ou syndicales alors que la majorité des mobilisations étaient impulsées des corps intermédiaires depuis de nombreuses années.
C’est un mouvement qui impose un rapport de force mais qui refuse largement la négociation et le dialogue.
Au-delà des questions de fond, à quoi pouvons-nous nous attendre dans les entreprises dans les prochains mois ?
- Un durcissement des modes d’action.
Le fait que le Gouvernement soit contraint de prendre en compte les revendications sous l’influence des mobilisations et de la violence aura certainement comme effet un durcissement des modes d’action dans les entreprises. Les personnes qui ne croient plus dans les capacités des syndicats à défendre leurs intérêts verront dans ces modes d’engagement une méthode directe et plus efficace que la table des négociations.
- Une perception d’un fossé encore plus profond.
C’est pour moi un effet net de ce mouvement, il y a une vision de plus en plus stéréotypée des écarts entre les différents niveaux dans la société et donc dans les entreprises. Mais cela n’est pas qu’une question de salaire ! C’est aussi la perception des capacités de l’Autre à se faire entendre, de par son réseau, ses connexions internes. Un manager ne gagne pas forcement beaucoup plus mais s’il est perçu comme étant en lien avec les décideurs, il sera alors associé à eux. C’est aussi une question de bagage culturel, de langage et de codes. Quelqu’un de perçu comme ayant les codes, les expressions ou un mode de vie associé aux décideurs sera considéré comme étant des « leurs ».
Ainsi, le « eux » (les puissants dans une vision protéiforme) et le « nous » (ceux qui seraient victimes des premiers) risque de s’affirmer encore plus dans les prochains mois.
Alors que faire ?
- Réaffirmer le rôle des syndicats.
Il faut à mon avis renforcer les corps intermédiaires, c’est-à-dire principalement les syndicats, qui sont presque toujours dans une recherche de dialogue et de négociation. Symboliquement, réaffirmer leur rôle essentiel et faire en sorte qu’ils soient reçus par les plus hautes directions permettrait d’éviter une rupture avec eux en cas de mobilisations « dures ».
- Ouvrir des espaces de dialogue contrôlés.
Je pense qu’il faut aussi ouvrir le dialogue par l’ouverture d’espaces contrôlés de parole libre. L’idée n’étant pas d’ouvrir un forum de discussion sur tous les sujets de façon désordonnée mais bien d’organiser des temps de rencontres et de dialogues directs qui permettront de prendre le pouls interne dans un climat serein et non sous la contrainte d’une mobilisation.
- Etre transparent sur la stratégie.
J’ai déjà régulièrement écrit sur le sujet : un des effets des biais inconscients est l’incapacité de projection dans ses actions quotidiennes si nous ne comprenons pas le sens de ce que nous faisons. L’idée ici est de partager la stratégie et de mettre de l’énergie à convaincre sur son sens et son intérêt collectif. Ou allons-nous, pourquoi et comment.
- Agir sur les représentations
Les effets de la mondialisation alimentent constamment les logiques de complot. Elles sont beaucoup plus fortes que nous pouvons l’imaginer et je pourrais vous citer des centaines d’exemples que j’entends en formation. Appelées aussi « Fake News », ces logiques sont tellement catalysées par les réseaux sociaux qu’elles sont devenues une arme de déstabilisation de nos sociétés parfois utilisées par des puissances étrangères ou par certains politiques eux-mêmes. Le paradoxe de nos sociétés est que, le savoir (dans ce qu’il a de plus rigoureux d’un point de vu méthodologique) est de moins en moins performant face aux croyances (voir à ce sujet les travaux de Gérald Bronner https://www.contrepoints.org/2013/08/10/134200-la-democratie-des-credules-de-gerald-bronner
). Il nous explique que les « croyants » (pas uniquement dans le sens religieux) sont plus mobilisés que les « sachants » (traduire « ceux qui adoptent une démarche scientifique ») dans la transmission de leurs idées. Les « croyants » seraient donc plus performants.
Il y a donc un effort considérable de formation et de sensibilisation à faire pour démonter les mythes associés aux « puissants » et sur tous les autres préjugés qui circulent dans la sphère des « croyants ». Ces complots aliment la vision d’un ennemie structuré qui ne pourrait être renversé que par la violence.
J’insiste sur ce point qui me paraît une pierre angulaire du moment. La construction d’argumentaires solides, méthodiquement et scientifiquement, permet de déconstruire ces représentations. J’en sais quelque chose de par les centaines de personnes que j’ai formées aux biais inconscients. C’est une méthode efficace pour faire prendre conscience de nos représentations déformées du réel. L’objectif n’est pas de dire « quoi penser » mais bien de convaincre que la complexité n’est pas une stratégie pour « endormir » mais une réalité du monde. Ma dernière formation a été réfléchie dans cette logique afin de former des personnes relais qui seront en capacité de déconstruire les stéréotypes et les mythes au quotidien.
Pour conclure et afin de répondre à ceux qui pensent qu’une stratégie descendante et plus autoritaire serait une meilleure méthode, souvenez-vous qu’elle ne fait que reporter les tensions qui risquent de s’exprimer de façon soudaine et beaucoup plus violente comme nous l’avons vu ces dernières semaines.
Etienne Allais
etienne.allais@entre-autre.fr
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